
Mon corps n’était pas le mien, je le regardais m’emmener au commissariat.
J’étais passé à côté d’Eddy Bellegueule. Rien de grave, j’avais le temps de me rattraper. On disait d’Edouard Louis après le triomphe de son premier roman –autobiographique – qu’il était un phénomène et qu’on le reverrait, qu’il s’installerait en haut de l’affiche pour un moment. Alors j’avais le temps. D’autant que j’étais, comme souvent, un peu méfiant. L’histoire était trop belle, ou trop pourrie. « Gamin issu d’un milieu défavorisé règle ses comptes avec sa famille dans un style remarquable ». Alors forcément, on attendait la suite, sa capacité à se renouveler, à transformer l’essai. Alors quand Histoire de la violence est sorti , je me suis rapproché dudit phénomène.
Autofiction 2. Totalement assumée. Jusqu’à présent, Edouard Louis écrit sur lui. Exclusivement. Plutôt bien d’ailleurs, voire excellemment mais Louis n’écrit pas de fiction. Il se penche sur son nombril, sur ses failles, ses traumatismes. Victime revendiquée, il les dissèque, les décortique pour nous. J’ai du mal à ne pas penser à Christine Angot quand le jeune homme se met à nu devant nous et expose sans trop de pudeur, ses blessures familiales et le viol qu’il a subi un soir de Noël quand après avoir ramené chez lui un certain Reda, jeune homme qui l’avait abordé dans la rue, celui-ci a fini par l’agresser, le frapper le violer et s’enfuir.
Récit explicite et parfois un peu glauque, d’un traumatisme. Louis fait le choix d’une double narration. La sienne, intime, touchante et sincère et celle de sa sœur Clara, qu’il affuble d’une langue parlée populaire et caricaturale, pas vraiment bienveillante, la voix d’un passé dont il aimerait visiblement se détacher pour toujours.
Edouard il met un masque et il joue tellement bien son rôle qu’au final ceux qui lui ressemblent ils l’attaquent en pensant qu’il est du camp adverse.
Il y a quelque chose qui me gêne dans cette Histoire de la violence. Comme un manque de pudeur qui serait le carburant essentiel du moteur Edouard Louis. Et tant pis pour les dommages collatéraux, tant pis s’il s’appuie sur eux pour construire sa grandeur. Je pense d’abord à sa famille bien sûr mais c’est un autre dommage collatéral, son agresseur qui le rattrape aujourd’hui et l’entraîne dans un procès improbable, l’accusant de porter atteinte à sa vie privée. En attendant, la légende d’Edouard Louis grandit et ses livres se vendent de plus en plus vite. Petit malaise. Pas sûr que la fiction servirait autant ses intérêts et j’avoue avoir un peu de mal avec cette forme d’exhibitionnisme littéraire. Oui Edouard Louis écrit très bien mais je ne suis pas convaincu. Je ne le serai qu’une fois que l’auteur aura réussi à se détacher un peu de lui-même…J’attends le troisième, donc.
Histoire de la violence, Edouard Louis, éditions du Seuil.