Je viens de terminer la lecture de la lettre à Helga. L’éditeur nous avait bien prévenus « Ce beau et puissant roman se lit d’une traite ». Effectivement, on ne peut pas s’arrêter, on tourne les pages les pages de ce livre jusqu’à ce qu’il se termine. C’est-à-dire que la lettre à Helga n’est pas à proprement parler un roman. C’est une lettre. Une lettre d’amour. On ne s’interrompt pas au milieu d’une lettre d’amour.
Quelque part dans le nord-ouest de l’Islande, près des fjords. Un vieil homme sent que la vie va le quitter. Le monde qu’il a connu s’est déjà envolé depuis longtemps. Alors il écrit une lettre à la seule femme qu’il ait jamais aimé. Helga, mariée, comme lui, qui vivait dans la ferme d’à côté, qu’il a aimé à en crever mais qu’il n’a pas voulu suivre.
« Toi et ce cœur sincère qui était le tien. Tu as dit que tu me voulais et demandé si nous ne devrions pas tout simplement partir ensemble et dire adieu à cette contrée. J’ai ri d’abord, sans prendre ces paroles au sérieux. J’ai essayé de mettre des mots sur ce que je ressentais, même s’ils étaient déficients. Et puis elle a pris fin brusquement. La saison des amours de ma vie. »
Bjarni revient sur ces années passées au nord du monde, il tente de comprendre, de justifier son renoncement. Il s’interroge sur la nature humaine, sur la force du désir, sur ce qu’il appelle sa contre-nature. « La distance qui me séparait de toi n’a fait qu’attiser le désir de te rejoindre, mais dès que l’occasion s’en est présentée, j’ai baissé les bras sans vouloir rien sacrifier ! »
L’attachement à la terre est-il plus fort que l’amour ? La lettre à Helga est aussi une déclaration d’amour à l’Islande, à ces terres isolées et inhospitalières « Même si l’on dit souvent que c’est dur de vivre là-haut, dans le nord en hiver, c’est encore bien pire d’y mourir. »
Bjarni a la sagesse des anciens, de ceux qui savent d’où ils viennent, qui connaissent la valeur et le poids de l’identité et qui n’ont pas peur d’accepter l’inconfort. Partir à Reykjavik avec Helga, c’était se perdre. Et finir par la perdre.
La terre d’Islande emporte tout, plus forte qu’un simple décor, elle garde ses enfants près d’elle qui hantent les collines et les fjords. « Beaucoup plus tard, on apprit qu’une tempête de sud-ouest avait emporté le pignon de la ferme, mais pendant l’été il y avait toujours des randonneurs à y fourrer leur nez. Aussi la ferme fut-elle démolie peu après, ainsi que la bergerie. La dernière fois que je suis passé par Holmanes, il ne restait plus rien sauf la butte toute verte où se dressait jadis la maison. La brise dans les herbes verdoyantes et le souvenir d’êtres humains. »
Bjarni est allongé dans l’herbe près de la ferme où il a vécu. Il sait qu’il va mourir bientôt, il se souvient des seins d’Helga qui se confondent avec les collines vertes derrière lui. « C’est alors qu’un merveilleux rayon de soleil a transpercé les nuages pour se planter sur moi et aux alentours, pour ne pas dire sur nous, puisque j’étais couché là contre ta poitrine. »
Simple et sublime.
La lettre à Helga, Bergsveinn Birgisson, éditions Zulma