La proie, qui ne soupçonne encore rien du sang qui déboule d’un torrent d’altitude.
Les images de Gus et de Grossir le ciel ne s’étaient pas encore effacées. Je retournais encore souvent dans ce coin paumé des Cévennes, un coin de France que Franck Bouysse avait réussi en quelques dizaines de pages à graver dans ma cervelle d’origine rurale. Comès m’avait fait la même quand j’étais gamin. Petit, alors que je passais mes hivers dans une ferme isolée de l’ouest – nuages, vent qui siffle dans les volets, boue et arbres déplumés, j’étais tombé sur Silence et La Belette dans la chambre de ma sœur. L’inquiétant, l’abominable calme de la campagne, la violence larvée qui se cachait derrière son silence forcé. Les ombres. Personne depuis Comès ne m’avait donné le sentiment d’aussi bien comprendre ce qui façonne le rythme des terres isolées.
Plateau, c’est le huis-clos rural absolu. Un hameau/bout du monde qui n’intéresse personne, quelques maisons à peine, oubliées comme ses habitants. Une vieille flaque d’eau croupie que quelques visiteurs viennent troubler, réfugiés amochés, chargés de leur histoire bien trop lourde à porter. Le vieux Virgile, sa femme Judith que la folie a gagnée, Georges le taiseux, le neveu solitaire qui vit un peu plus loin dans sa caravane. Et puis Karl, l’ancien boxeur au passé trouble et Cory, amochée elle aussi. Un monde en soi, des personnages, solitaires, qui se tournent autour, qui s’évitent, qui s’approchent pour mieux s’éloigner. Chacun rôde, lourd de ses secrets, chacun se méfie, tout va exploser, tout DOIT exploser. Cette fausse lenteur, cette tension immobile, ce grand-air irrespirable, le danger est partout , il vous surprend à la nuit tombante, il est là partout, à tel point que vous ne POUVEZ pas lâcher ce Plateau addictif avant d’en connaitre le dénouement.
Enfant de chœur aux mains jointes, plaquées sur la braguette de son pantalon, face à ce rempart de chair voué aux attaques de mille putréfactions.
J’ai parlé de Comès, je pourrais citer Un pied au paradis de Ron rash tant la langue de Franck Bouysse est riche. Il y a quelque chose d’imparable dans ce roman, un juste équilibre entre urgence – des dialogues courts et tendus, un scénario implacable – et lenteur – encore une fois le rythme qui dicte les vies, les gestes immuables, les tâches qu’on exécute machinalement, sans même y penser.
Il se demande si la condition ultime de tout homme, face à une femme, est d’évoluer dans une forme de déséquilibre.
Plateau, énorme coup de cœur qui m’a ramené dans les lieux de mon enfance, dans des vieilles fermes grises aux murs décatis, des hivers boueux, interminables et silencieux. Magnifique évocation d’un bout du monde intime, Plateau, premier grand coup de cœur de l’année.
Plateau, Franck Bouysse, La manufacture de livres
4 réponses à “Plateau – Franck Bouysse”
Impossible de le trouver chez mes libraires habituels ! J’avais adoré « Grossir le ciel » (un des meilleurs polars ces derniers temps) et j’ai hâte de me régaler de nouveau avec la très belle écriture de Franck Bouysse !
Étonnant ! Je le vois partout et souvent en tête de gondole…
Bonjour; où habitez vous ? Ci joint deux sites de librairies indépendantes qui vous indiquent où trouver le livre près de chez vous…
http://www.lalibrairie.com/tous-les-livres/plateau-franck-bouysse-9782358871211.html
http://www.parislibrairies.fr/detaillivre.php?gencod=9782358871211
Pas trouvé à Nîmes non plus…mais hier à Carcassonne, mon gentil libraire indépendant me l’a commandé (librairie « Mots à mots ») 😊 Merci La Manufacture pour ces deux adresses que je note précieusement !