Chronique d’hiver où quand Paul Auster jette un œil sur sa vie, non pas d’écrivain mais d’homme. Un drôle de livre en forme de bilan. Pas du tout une autobiographie en tant que telle, mais un regard sur lui-même, à travers des souvenirs, des impressions, des bouts de ficelles récoltés ici et là. Certains passages sont très beaux, d’autres plutôt anecdotiques.
C’est de l’individu fait de chair dont il est question et en filigrane, du pourrissement à venir de cette chair qui vieillit. La dernière page se referme sur le constat suivant : « Tu as soixante-quatre ans. Dehors, l’air est gris, presque blanc, pas de soleil en vue. Tu te demandes : Combien de matins reste-t-il ? »
Une déprime ? Non, un constat. Auster entre dans l’hiver de sa vie et dit adieu à sa jeunesse, à sa vie d’homme. Il revient sur le passé, parle de son enfance à travers des anecdotes, fait la liste des endroits où il a vécu, raconte les blessures , physiques, qu’il a reçues, les femmes qu’il a séduites.
On y découvre un Paul Auster victime récurrente de crises d’angoisses, hypocondriaque et vaguement nombriliste, un fils critique et frustré, un mari aimant. Tout passe par le corps. De blessures enfantines aux dents arrachées, de l’émergence du désir sexuel aux maladies vénériennes, tout y passe.
Il n’est pas question ici de revenir sur son œuvre. C’est l’homme Auster qui occupe toute la place. Modiano avait fait de son Pédigrée un chef d’œuvre narratif, Chronique d’hiver est plutôt un inventaire (avant liquidation ?), le bilan d’une vie, de fils, d’amant et de mari. Où l’on comprend les blessures qui ne cicatrisent pas : « Il ne fait aucun doute que tu es un individu imparfait et blessé, un homme qui porte en lui une blessure depuis le tout début (pourquoi, sinon, aurais-tu passé toute ta vie d’adulte à verser ce sang de mots sur une page ?) »
Auster est-il passé à côté de sa vie ? lui qui se présente en « Homme silencieux coupé du reste du monde et qui reste assis à son bureau jour après jour, sans autre but que celui d’explorer l’intérieur de sa propre tête. » Non, sans doute pas. Il a des regrets, essentiellement celui de ne jamais avoir pu communiquer avec son père, cette figure omniprésente qui le hantait déjà il y a trente alors qu’il écrivait L’invention de la solitude , ce père qui est mort à soixante-six ans avant qu’ils aient pu se dire les choses.
Soixante-six ans, l’âge de Paul Auster aujourd’hui, une coïncidence qui n’en est bien entendu pas une. Auster a l’âge de son père au moment de sa mort et il écrit un testament. Il lègue son histoire à qui veut bien la lire. Ses fans, ses enfants, qui voudra.
Chronique d’hiver, Paul Auster, éditions Actes Sud.