Guillermo Saccomanno – L’employé

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« Ce matin, à son arrivée, il comprend qu’un licenciement va avoir lieu. Un garçon bien mis attend à la réception, près de l’accès principal aux bureaux. Une jeune fille ou un jeune homme à cette place signifie, chacun le sait, le remplacement d’un membre du personnel. Les nouveaux attendent, prêts à occuper un poste et à entrer immédiatement en fonction, tandis que les employés commencent leur journée dans la crainte, en se demandant qui va être remplacé, qui sera licencié. »

C’est étonnant comme la lecture d’un roman peut parfois faire résonner certaines situations de votre vie personnelle. Ou professionnelle.
L’employé. C’est d’ailleurs certainement à cause de son titre que j’ai choisi ce roman l’autre jour chez mon libraire préféré. L’employé. Voilà un bien titre qui ne promettait aucune évasion vers un monde coloré…
D’ailleurs, la 4ème de couv’ était formelle, on allait bien parler d’un employé anonyme, forçat en col blanc, à la merci d’une entreprise sans âme et sans compassion pour ses soldats du quotidien. Un thème abominable mais tellement d’actualité…Bon, assez parlé du boulot, de toute façon, j’y retourne dès que j’ai terminé ce billet.
Guillermo Saccomano nous dresse le portrait d’un homme gris et résigné, qui n’existe que par sa dénomination, qui ne désigne les autres que par leur fonction, le chef, la secrétaire, l’épouse, le collègue. On n’est que sa fonction, on n’existe pas par soi-même dans cette ville cauchemardesque qu’on devine être un Buenos Aires en plein chaos. C’est Brazil, 1984. C’est Kafka et The Road à la fois. Une ville moderne apocalyptique, rythmée par les hélicoptères qui inondent le ciel et déchiquètent les chauves-souris avec leurs hélices. Des attentats à tous les coins de rues, des scènes de guérillas urbaines. Des enfants stars qui pratiquent le kick-boxing jusqu’à la mort. Et l’entreprise.
L’employé fait semblant, il suit le flot, tête basse. « L’homme est un animal d’habitudes, se dit l’employé en aspirant l’air pollué de la rue ». Il se conforme à la norme pour ne pas attirer les regards. « Il se délecte à parler à parler de son foyer et de sa famille. » Mais sa réalité est autre « Sa femme, un gros tas à la face chevaline, est aigre et despotique et ses enfants sont un troupeau d’obèses mal élevés. »
Le danger, pour l’employé, c’est de réaliser la nature même de son infortune et de rêver.
C’est alors que le pire arrive. Il tombe amoureux. Il entraperçoit le bonheur et perd ses repères.
« Il souffre à l’idée qu’un rêve est tragique non pas à cause de sa concrétisation possible. Mais du réveil. Car une fois qu’on y prend goût, la vie devient intolérable si le rêve ne se répète pas. Et on se retrouve plus malheureux qu’avant, quand on ignorait ce qu’était le bonheur. »

Terrifiant. D’autant plus quand on pense que l’auteur a connu l’Argentine de la dictature. Comme tous ses compatriotes, il a vécu sans vivre pendant les années Videla. Et on retrouve ici la même froideur implacable que dans le roman de Martin Kohan, le conscrit, la même deshumanisation institutionnelle, l’aveuglement et le renoncement nécessaires à la survie. La soumission comme seule issue. Ou la mort.
« La vie n’est que cela, pense l’employé. Tuer ou mourir. »… Terrifiant, je vous dis.

l’employé, Guillermo Saccomano, éditions Asphalte

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