Canada – Richard Ford

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Un coup de cœur…évidemment. Tout d’abord le titre : Canada. Comment voulez-vous que je fasse l’impasse sur un des romans phares de la rentrée littéraire quand son titre fait écho à mon obsession numéro un ?
Le Canada dont je connais la géographie sur le bout des doigts, dont j’ai parcouru, grâce à Google earth, les routes les plus isolées…Un pays gigantesque, une frontière de 6000 km avec les Etats-Unis et puis le Nord qui s’étire à l’infini, bien au-delà des hommes. C’est vrai que si l’auteur avait appelé son livre Moldavie ou…Biélorussie (au hasard), j’aurais sans doute attendu quelques jours de plus avant de l’acheter…
Canada, c’ est le dernier roman de Richard Ford, un des maitres ultra célébrés de la littérature contemporaine. Un grand roman, une vie américaine, de l’enfance à la retraite, un parcours, de la perte de l’innocence aux portes de la mort. Canada, c’est l’histoire de Dell Parsons, un jeune homme de quinze ans qui vit avec sa sœur et ses parents dans une petite ville du Montana des années 60. Une vie simple, un peu bancale, sans éclat. Un portrait de l’Amérique moyenne.
La grande force du roman c’est d’abord son procédé narratif. Ford pratique le teasing littéraire. Il nous allèche en permanence et nous incite à tourner les pages pour découvrir ce qu’il annonce dès les premières lignes du roman : « D’abord, je vais raconter le hold-up que nos parents ont commis. Ensuite les meurtres, qui se sont produits plus tard. C’est le hold-up qui compte le plus, parce qu’il a eu pour effet d’infléchir le cours de nos vies à ma sœur et à moi. » Trop fort. Du coup, impossible de reposer le roman. On entre dans cette histoire sans pouvoir en sortir.
Dell est un enfant de quinze ans qui voit sa vie changer alors qu’il ne sait même pas qu’il en sera un jour responsable. Le gamin observe, toujours à l’écart, et regarde sa vie qui s’apprête à partir en lambeaux. Chronique d’une chute annoncée, il sent le vent de la tempête arriver. Un changement se profile qu’il imagine majeur sans en mesurer les conséquences. « J’avoue être intrigué de constater à quel point une conduite ordinaire peut perdurer à la frontière de son contraire parfait. »
Son père braque une banque dans le Dakota du nord avec l’aide de sa mère. Ils se font attraper. Médiocres criminels. Dell, accompagné de sa sœur jumelle, les voit disparaitre pour toujours en même temps que la vie qu’il a toujours menée. L’adieu aux parents et à l’enfance , sans même le savoir. « Le gardien nous a éloignés de sa cellule pour qu’elle puisse parler à son avocat. Je ne l’ai jamais revue, mais je ne le savais pas à l’époque. Je lui en aurais dit davantage si je l’avais su. »
« Je m’aperçois que notre mère n’avait pas le moindre espoir de nous revoir, Berner et moi. Elle savait très bien que c’était le fin de notre famille, pour tout le monde. C’est pire que triste. »

C’est un roman initiatique qui débute ensuite, presque à la manière de David Copperfield. Dell se retrouve, sans sa sœur fugueuse, dans un petit village du Saskatchewan, au milieu de la Prairie canadienne, hébergé sans vraiment l’être, par un homme qui a fui les Etats-Unis. « Une vie passée dans un patelin avec vue sur rien et un vent qui rend fou ». Le gamin fait l’apprentissage du temps et de la vie « Terre qui tourne, soleil qui traverse le ciel plus bas dans sa course, vents gonflés par la pluie, arrivée des oies. Le temps du calendrier, invention humaine, passe à l’arrière-plan, et c’est bien ainsi. »
C’est la perte de l’innocence, le passage à l’âge adulte, de l’autre côté de la frontière, dans ce Canada qui s’oppose à l’Amérique. Un pays infini, ouvert, tellement similaire au sud et inconnu au nord. Un pays où tout est possible. Pour réussir à vivre, Dell n’a d’autre choix que de s’affranchir de son passé. « J’ai réalisé à quel point j’avais voulu les effacer (ma famille), à quel point mon bonheur était lié à leur disparition. »

Puis vient le bilan. Celui d’une vie. Professeur en Ontario à quelques mois de la retraite, Dell revient sur ce parcours : « Ma métaphore centrale est toujours le franchissement d’une frontière; l’adaptation, le passage progressif d’un mode de vie inopérant à un autre ». La frontière entre le Canada et les USA devient celle du bien et du mal, du bonheur et du malheur. Dell n’aurait pas pu être heureux là où il est né, là où son père avait fauté, il lui fallait passer la frontière pour pouvoir vivre. De sa ville frontalière, il observe son pays natal, comme s’il ne l’avait jamais quitté. « On essaie, tous tant que nous sommes. On essaie. »
Et finalement, on n’oublie pas. Sublime.

Canada, Richard Ford, éditions de l’Olivier.

 

2 réponses à “Canada – Richard Ford”

  1. vachement bien votre critique (et votre blog en général que je viens de découvrir)
    Les hommes aussi lisent , bonne nouvelle , lol !
    Mior

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