« Un processus d’asservissement moral de la population »
Que faisiez-vous à 23 ans? Etiez-vous jeune, décérébré et biactolisé ? Connaissiez-vous le prénom de tous les barman de votre ville ? Tentiez-vous, en désespoir de cause, de terribles mélanges Valstar-Martini à 2 heures du matin tout en essayant de terminer le niveau 3 de Super Mario, avachi sur le canapé de vos potes d’infortune ? Ou bien étiez-vous déjà entrés dans la vie active ? Sérieux et responsables, vous payiez vos factures, classiez scrupuleusement les relevés de vos PEL, en deux mots, prépariez l’avenir ? Je vous laisse deviner dans quelle catégorie je me situais.
Cécile Coulon, elle, à 23 ans, publie son quatrième roman, Le rire du grand blessé. C’est toujours étonnant, les jeunes prodiges. Ça en est même suspect. On en viendrait presque à mettre en doute leurs qualités réelles. C’est quand même douteux d’être capable de maitriser l’art littéraire à l’âge où certains cherchent encore, au mieux, à quoi leur vie pourra bien ressembler quand il leur faudra, enfin, quitter leur chambre d’adolescent.
Dans ce roman, Cécile Coulon décrit un régime totalitaire imaginaire où le divertissement populaire calibré est devenu l’unique distraction d’un peuple perdu. Des lectures publiques sont organisées dans des stades gigantesques où la population écoute en transe des histoires sur mesure. Les livres anciens sont bannis et remplacés par des textes simplistes à l’extrême qui répondent à des codes établis, déclenchent des torrents d’émotion et contentent l’appétit décroissant d’esprits paralysés par le pouvoir en place. « Le pouvoir avait besoin des analphabètes, c’était le seul moyen pour garantir une prospérité à long terme ». On n’apprend plus à lire aux gens. La lecture est dangereuse et la littérature proscrite.
La ville est grise et la campagne misérable. « Les voisins amenaient des volailles décapitées qu’ils vidaient au-dessus de l’évier et faisaient cuire à petit feu. Des chiens efflanqués dévoraient les boyaux. »
Le seul espoir pour les jeunes hommes est d’intégrer les rangs officiels et de parvenir au statut d’agent.
Nous sommes dans les pas de l’un d’entre eux. L’agent 1075. « Ses yeux ne regardaient pas; ils creusaient; Ils cherchaient, en vous, la mauvaise herbe à arracher » .Un jeune homme froid et méticuleux grâce auquel l’espoir, malgré tout, renaitra.
Cécile Coulon réussit à nous entrainer dans cette fable un peu désespérée. Le roman est court et intense, les enjeux sont simples et forts. J’aurais aimé que son livre soit un peu plus long, j’aurais adoré en savoir plus sur cette société fantasmée dont les meurs sont à peine décrites. Mais c’est toujours mieux de manquer. En littérature, rien n’est plus indigeste que le trop plein, l’inutile esthétique. C’est un procès qu’on ne pourra pas faire à Cécile Coulon.
Meilleur espoir féminin, ça existe en littérature ?
Le rire du grand blessé, Cécile Coulon, éditions Viviane Hamy