Ménilmontant ou l’esprit de la commune.
« De manière générale, vous êtes fatigués d’entendre parler du sort des sans-papiers, vous trouvez qu’on exagère parce que après tout la vie est dure pour tout le monde, et la misère ne touche pas que des étrangers en situation irrégulière. Si vous êtes de droite, vous ajoutez qu’ils n’ont qu’à rentrer chez eux ; si vous êtes de gauche, vous pensez à peu près la même chose sans oser le dire. »
Un bien étrange récit. Un roman qui restera parmi les plus marquants de l’année. Je ne sais même pas comment le présenter. Une fable anarchiste? un roman de la marge ? Une errance nihiliste ? Sans doute un peu de tout cela à la fois.
Jean Deichel, quarante-trois ans se fait expulser de son appartement. Il s’installe dans sa voiture, une vieille R18 break, garée rue de la Chine dans le XXème arrondissement. Calme et résigné, étrangement apaisé, il commence ce nouveau chapitre de sa vie qu’il appelle l’intervalle . Une errance libre. Il marche dans les rues de Paris à la manière de Fogg le héros de Moon Palace à New York. Il marche jusqu’à l’épuisement, jusqu’à l’extase. Il est libre. Il observe le monde qui l’entoure, la société dont il a plus ou moins choisi de s’écarter. Il parle même de suicide social pour qualifier sa démarche. Il flirte avec la marge, s’approche dangereusement du bord. « Lorsqu’on marche dans Paris, on s’imagine qu’on se promène, mais piétine surtout les morts. »
Fort de sa liberté iI fait des rencontres, noue des amours et des amitiés, voit le monde d’un œil neuf, plus attentif, se rend compte qu’il n’est pas seul, qu’une société alternative respire à ses côtés; Que l’esprit de la Commune de Paris souffle derrière son épaule. Qu’une insurrection est possible, que l’ordre établi pourrait, si on le voulait, être dérangé…« La société a besoin que nous ayons une identité pour nous contrôler. Il faut en finir avec cette logique. ». « Dans l’œil métallique des caméras de surveillance, disait Ferrandi, se niche la maladie du politique, et quand la politique est malade, ce qui prend sa place, c’est l’envoûtement. ». De rencontres en rencontres, sa solitude se meut en appartenance, si ce n’est à un groupe, à une communauté de pensée. Les renards pâles sont là, esprits rebelles, insoumis, forts. « Un poète? Je crois que le mot le ferait rire. Méfiez-vous : les solitaires ont peut-être du charme, mais aussi une dureté qui vous éloigne. »
Des flics courent après des sans-papiers ? Les Renards Pâles sont là qui veillent. Ils sont partout , cachés derrière leurs masques. Et Paris va brûler…
Un récit court, atypique et parfaitement maitrisé. Drôle de roman à la lisière. Poétique et dérangeant.
Les Renards pâles, Yannick Haenel, éditions Gallimard
Une réponse à “Les Renards Pâles – Yannick Haenel”
Un récit qui se démarque des autres, ça ferait du sang neuf à ma bibliothèque !