Un coup de poing avant Noël, un roman choc, ultra tendu. Un cauchemar domestique qui vient d’obtenir le Prix Médicis étranger à la barbe (pas gentil pour elle, ça…) de l’ultra favorite Laura Kasischke.
Le pitch en deux mots : Un homme sur un petit voilier en mer du Nord avec sa fille de sept ans. Il fait nuit, l’orage approche. Il est épuisé. Sa fille dort dans la cale. L’inquiétude monte, à mesure que le bateau se met à tanguer. Il va voir si sa petite fille dort toujours. Il cherche son corps sous les couvertures. Elle n’est plus là, elle a disparu.
Ce roman, un premier, est un coup de maitre. Un sprint fabuleusement anxiogène qui se lit d’une seule traite et qui vous prend aux tripes dès les premières lignes. «Toujours les mêmes histoires, répétées par d’autres marins. Je ne connais personne qui ait vraiment été frappé par la foudre. Pourquoi mon bateau intéresserait-il les éclairs?»
De l’art d’installer son lecteur dans une angoisse absolue. Anticipation de la catastrophe annoncée. Les ressorts sont connus mais leur maitrise est rare. Donald a quitté la terre ferme quelques mois plus tôt, en rupture avec son quotidien. Il revient au port et a fait venir sa fille pour la dernière étape. C’est un homme qui s’interroge sur son rôle de père, sur sa responsabilité d’adulte. « Les mères ne veulent pas que leurs enfants grandissent, les pères, si.» La tempête est présente sur le bateau mais surtout dans sa tête. « Aussi agité que puisse paraître un bateau, il y fait toujours plus calme qu’à la maison.» Il me fait penser aux personnages torturés de David Vann , au père dans Sukkwan Island, surtout, qui embarque son enfant dans sa déprime destructrice. On retrouve aussi le thème de la névrose parent-enfant du dernier Kasischke. Les phrases courtes, volontairement économes m’ont aussi fait penser à La route de Cormack McCarthy. Chaque mot est pesé. Donald tente d’échapper à la panique. Il doit garder ses esprits ou la mer va l’avaler lui aussi. « Si tu cesses de penser de façon claire, la mer t’emporte. » Et c’est ce qui rend En mer aussi dérangeant. L’horreur ici est réaliste. Pour un peu qu’on soit père, la situation en devient insupportable. Les doigts se crispent sur les pages et la lecture se fait, compulsive, sans qu’on puisse reprendre son souffle.
Un peu le pire Noël …mais un tour de force absolu.
En mer, Toine Heijmans, éditions Christian Bourgois