La terre est encore fraiche sur la tombe de Mandela et le monde continue de célébrer l’Afrique du Sud, terre d’espoir enfin sortie de l’ombre. Saint Nelson a réuni tout ce beau monde, il a rassemblé, il a voulu construire, oublier, pardonner. Un peu vite diront certains… Mandela tenait son monde à bout de bras, un équilibre fragile, des sourires de façade, un président noir qui expiait les péchés des blancs, une coupe du monde de rugby, une autre de football (Oui, le bus de Knysna c’était là-bas…), Sortez les vuvuzelas, n’en jetez plus.
Malheureusement, extraordinairement riche et belle, l’Afrique du Sud est aussi complexe et violente. De notre voyage en 2007 chez l’ami Claude, je retiens le meilleur et le pire. Le pire, c’est l’empreinte de la violence jusque dans le quotidien le plus ordinaire. Ne pas s’arrêter aux feux rouges pour éviter le car-jacking, ne pas marcher seul dans la rue le soir, même pour faire deux cents mètres. Toutes ces banlieues résidentielles entourées de barbelés. Le meilleur, c’est cette lumière incroyable, la nature fabuleuse, la chaleur de certains quartiers, le soir et les gens bien sûr.
C’est à cette complexité à que Troy Blacklaws s’attaque. Son pays est un enfer et un paradis à la fois et le pire y côtoie le meilleur.
Un gamin, Jérusalem, suit son père, Zero Cupido dans les rues et les faubourgs du Cap. Le père est un trafiquant à la petite semaine. Shit et arnaques. Le fils voudrait être poète. Mais y a t-il de la place pour un poète dans ce monde beau, fou et cruel? Jabulani, professeur d’anglais au Zimbabwe a cru que Mugabé pouvait être cet homme providentiel que l’Afrique du Sud avait trouvée. Il s’est trompé et il a dû fuir : « Au lieu de s’embarquer sur des bateaux surchargés qui gîtent dangereusement à destination de l’Espagne ou de l’Italie, les jeunes africains habités d’un rêve ardent vont plutôt descendre vers le sud, en laissant derrière eux des pays où un dirigeant coiffé de Léopard s’engraisser grâce aux fonds internationaux. »
Le racisme est toujours là. Il a seulement pris une forme différente. Il s’adresse aux frontaliers. Mieux vaut ne pas naitre tanzanien, venir du Malawi ou du Zimbabwe…Quant à l’amour entre une blanche et un noir, Jérusalem l’apprend à ses dépens, il est encore impossible. On n’efface pas le passé avec une déclaration. Cette liberté que Mandela a tant désirée, c’est une blague.
Le chaos peut-être beau, c’est ce que semble dire Blacklaws. Zero Cupido, le petit malfrat, est aussi un justicier populaire, à la tête d’une milice qui manie le flingue et la machette avec une certaine idée de la morale. Et du pire nait le meilleur. Zero purge l’Afrique, il nettoie le pays de ses pires maux et les crocodiles finissent le travail. Par moments, on se croirait dans un film d’Eastwood, peuplé de personnages à la Tarantino. A cent à l’heure, toujours sur le fil du rasoir ou au ralenti, au rythme des baleines qui passent au large, Troy Blacklaws déroule son roman, une histoire faite de violence, d’amour, de camaraderie, de solidarité. Des salopards et des Saints. Des Saints déguisés en salopards, voilà de quoi est fait ce roman incroyablement riche.
Envie folle de me replonger dans ce paradis chaotique…
Troy Blacklaws, Un monde beau, fou et cruel, éditions Flammarion