Marée basse, bouillon de légumes et Badoit. Encore un peu de sang au coin des yeux, regard égaré derrière des poches immenses, vêtements rétrécis, ventre proéminent. Déprime post-Saint Sylvestre majuscule. Demain ce sera retour au travail, vague de froid, factures et gastro. La misère ordinaire. Refugions-nous dans les souvenirs de ce que fut 2013. Florilège, pot pourri et des derniers prix, c’est parti.
Les Renards Pâles de Yannick Haenel, Prix spécial du Nombril parce que je n’ai pas pu classer cet ovni que j’ai adoré, que Transfuge avait mis en tête de ses favoris pour les prix de l’automne et qui est reparti bredouille, dommage… Un roman étonnant de l’étourdissement, de la marge. Une marche ininterrompue sur les hauteurs de Paris, dans le XXème autour de Gambetta et du Père-Lachaise. Une errance étourdie aux frontières de l’alternatif. Le narrateur, nouveau SDF, s’ouvre à la vie alors que la société le met sur le trottoir. C’est là, dans la rue, que la vérité, un nouvel ordre des choses, va se dévoiler à lui, à travers l’apparition de graffitis sur les murs de la ville. Rencontres nocturnes et ouverture d’un champ des possibles qu’on ne soupçonnait pas jusque-là. Fable révolutionnaire ? Esprit anarchiste ? L’esprit de la « Commune » flotte autour de ces Renards Pâles enchanteurs qui auront rafraichi mon automne.
Le Prix étranger m’aura baladé entre Etats-Unis, Argentine et Hollande. Laura Kasischke, Esprit d’hiver, extraordinaire huis-clos mère-fille, David Vann, Impurs, autre affrontement insupportable entre une mère et son fils cette fois, Guillermo Saccomano, L’employé, ou la vision apocalyptique d’un monde du travail déshumanisé, Lucia Puenzo, Wakolda ou le sadisme ordinaire d’un criminel de guerre en fuite et Toine Heijmans, En mer, prix Médicis étranger, huis-clos (encore un !) terriblement anxiogène entre un père et sa petite fille perdus en mer du Nord… Une année stressée, vécue les dents serrées en somme. Des thèmes récurrents, la folie, ombre malfaisante, qui menace le quotidien. Rien de léger au final mais des histoires extraordinaires et impitoyables dévorées sans restriction. Un prix pourtant, un seul, décerné à Richard Ford, et son Canada, roman initiatique sublime au décor planté dès les premières lignes : « D’abord, je vais raconter le hold-up que nos parents ont commis. Ensuite les meurtres, qui se sont produits plus tard. C’est le hold-up qui compte le plus, parce qu’il a eu pour effet d’infléchir le cours de nos vies à ma sœur et à moi. » Une épopée familiale géniale, un roman de l’espace et de l’absence. Magnifique.
Prix du Nombril book of ze year 2013 : La Constellation du chien, Peter Heller.
A la fin, il n’en reste qu’un. On oublie les autres, on les range sur les étagères, on les prête, on finit par ne plus en parler. Et puis il y en a un qui résiste, qui revient vous hanter des mois après. On le reprend en main, on le relit partiellement, on le recommande. On l’offre à ses amis, on le revendique, c’est le livre de l’année.
La constellation du chien est le premier roman de l’américain Peter Heller. C’est une histoire de fin du monde vue par ses derniers habitants. Le quotidien de deux hommes qui défendent leur périmètre. Jusqu’à ce que… Un western post moderne brutal et poétique, sombre et plein d’espoir à la fois: « Suivez la croyance de Bangley jusqu’à son terme et vous obtiendrez une solitude retentissante. Chacun pour soi, même pour gérer la mort, et vous arrivez à une solitude complète. L’univers et vous. Les étoiles froides. Comme celles qui s’estompent, en silence, pendant que nous marchons. Croyez en la possibilité d’un lien et vous obtenez autre chose. » Qu’est-ce qu’un homme ? C’est la question que se pose le narrateur, seul face au désert. La seule question qui vaille, finalement.
Allez, cette fois-ci c’est officiel, 2013 is dead, vive 2014 ! A vos livres !