Décembre 1917. Une compagnie de l’US Marines Corps débarque en France et est envoyée au front.
Une fusée éclairante est partie soudain, elle est allée effleurer le ciel d’un léger baiser avant d’exploser, et dans l’éclat de sa déflagration j’ai vu l’enchevêtrement des défenses de barbelés rongés par la rouille. J’ai vu aussi la pluie lente, qui dans la lumière luisait comme du quartz et tombait sur le champ de bataille en lignes verticales implacables. Je restais recroquevillé et tremblant dans ma tranchée peu profonde, mon fusil plaqué contre moi…La pluie découvrait les corps enterrés à la hâte ; il y avait une odeur de décomposition dans l’air…
Le dernier Ron Rash m’avait plongé au cœur de la première guerre mondiale, vue de l’Amérique. Exotique. Je voulais en savoir plus…
Bêtement, j’avais toujours vu cette guerre comme un affrontement franco-allemand, une boucherie entre voisins qui s’était jouée sur des terres à betteraves dans des coins reculés de l’est. J’avais bien lu dans mes livres d’histoire que les alliés, déjà, étaient venus nous donner un coup de mains en 1917 et 1918 mais je l’avais oublié aussi vite que les films sur le débarquement de 1944 avaient fleuris sur nos écrans…Le débarquement de 1917 s’était fait la fleur au fusil dans des ports accueillants…du coup…
Oui, les américains sont venus en Europe en 1917. Ils ont combattu dans les mêmes tranchées que les français et les allemands. Et ils ont vécu l’enfer de Verdun sans forcément comprendre ce qu’il leur arrivait. L’histoire de la compagnie K, c’est 113 soldats et gradés qui prennent la parole et racontent leur guerre. Des anecdotes, une chorale de voix disparates qui finissent par s’unir et n’en faire qu’une pour raconter l’horreur et l’absurdité. Tout est réuni dans ce roman écrit en 1933 par un vétéran et traduit pour la première fois par les éditions Gallmeister. Bien sûr, on parle de la guerre de 1914 mais on pourrait parler de toutes les guerres, de l’enthousiasme des préparatifs, et de la déception du retour aussi. Toutes les pages sont remarquables et touchantes, les descriptions justes et sans artifices.
On reconnait toujours un ancien champ de bataille où beaucoup d’hommes ont perdu la vie. Le printemps suivant, l’herbe sort plus verte et plus luxuriante que dans la campagne alentour ; les coquelicots sont plus rouges, les bleuets plus bleus. )(J’ai fait part de mes réflexions à ma femme, mais elle m’a répondu qu’il n’était pas difficile de comprendre ce qui arrivait aux champs de bataille : Le sang des hommes tués au combat et les corps enterrés sur place fertilisent le sol et favorisent la croissance de la végétation. C’est parfaitement naturel m’a-t-elle dit. Mais je n’arrivais pas à approuver cette explication trop simple : il m’a toujours semblé que Dieu était tellement écœuré par les hommes et par leur cruauté sans fin les uns envers les autres, qu’il recouvrait les endroits où ils ont été aussi vite que possible.
Des bouquins sur la première guerre, on va vous en proposer des milliers cette année. Tous raconteront à quel point la plupart des millions d’hommes sont morts pour rien, beaucoup plus que pour la patrie ou un idéal. Ils raconteront les ordres stupides, les fusillés pour l’exemple, les gazs, les baïonnettes. Tous vous laisseront un goût dégueulasse dans la bouche et finalement assez peu d’espoir. Mais celui-là a une voix différente, une dimension supplémentaire due au fait que ces soldats étaient américains et qu’ils ignoraient tout de l’endroit où ils se battaient.
Il n’y aurait finalement que peu de phrases à changer pour transposer ce roman au Vietnam ou en Irak. C’est sans doute ce qui fait le plus peur à la fin.
Compagnie K, William March, éditions Gallmeister