Atlas des îles abandonnées – Judith Schalansky

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Cet atlas n’est peut-être pas pour vous : vous avez encore la possibilité de le refermer. De retourner à une autre occupation, d’oublier votre geste. Parce que si vous continuez, vous allez partir vers tous ces bouts du monde où personne ne va jamais.

Je suis un explorateur de canapé. Un James Cook des banlieues, qui s’endort le soir, une carte du monde sur les genoux. J’aime les coins reculés, les routes oubliées, les frontières floues, la montagne inaccessible que j’aperçois derrière l’horizon. J’accepte mal mes limites. Non, je n’irai pas partout. Je ne connaitrai jamais le monde dans son ensemble. Alors je continue à danser dans ma tête. Je lis des cartes de coins paumés et désertés où la trace de l’homme est marginale voire inexistante . Je m’imagine partant pour des voyages improbables, seul, au cœur d’immensités vierges et hostiles.
« L’Atlas des îles abandonnées », 50 archipels isolés des continents, perdus loin des routes connues, est un rêve pour un voyageur Google Earth comme moi…Un Atlas des îles que rien ne relie aux hommes, des bouts de terre oubliées, à des milliers de kilomètres d’autres bouts de terre.
Les fameuses îles désertes, fantasmées comme le Paradis, sont souvent des prisons à ciel ouvert, des lieus violents où la nature humaine, quand elle est tolérée par le lieu, prend une dimension dramatique exceptionnelle, sublimée par la solitude.
L’atlas est présenté par Olivier de Kersauson, qui n’est pas seulement le navigateur qu’on connait (et le vilain chroniqueur des Grosses Têtes et de Ruquier…) mais aussi un écrivain ultra fin, qui résume avec ses mots simples et justes ce que le livre de Judith Schalansky révèle ensuite à travers d’anecdotes que l’écrivaine allemande distille avec beaucoup de finesse. Pas ou peu de descriptions mais des moments de vie et de mort, de la poésie pure :

Moi je n’étais pas un petit garçon penché sur les atlas, suivant du doigt les contours du monde. J’étais dehors, j’attrapais les oiseaux, les odeurs, je mettais des lignes, je regardais le ciel. Ce qui est intéressant, ce sont les senteurs, le silence, la tempête.

Une île, c’est d’abord une ombre sur l’horizon de la mer.

Ile Solitude, Russie, 20km2, inhabitée. « L’entonnoir qui recueillait les précipitations est enterré dans la neige. Le mur à motif de palmiers s’orne d’un Lénine à barbichette. Dans le journal de bord sont rigoureusement consignés les travaux de maintenance du chef mécanicien et les niveaux d’huile et d’essence des différentes machines. Mais l’ultime mention se joue des colonnes, on a marqué au stylo rouge : « 23 novembre 1996. Aujourd’hui, réception de l’ordre d’évacuation. Ai vidangé les conduites et arrêté le générateur Diesel. La station est… » Le dernier mot est illisible.
Saint-Kilda (UK), 8,5 km2, inhabitée. Un caillou aride, battu par les tempêtes de l’Atlantique Nord, au large des Hébrides, loin du continent. Une colonie de quelques familles survivent au début du XIXème siècle. Consanguinité, maladies. Les bébés, ici, ont « le syndrôme des quatre jours ». Ils meurent tous, pris d’un mal étrange dans la première semaine de leur vie, c’est le tétanos du nouveau-né. Et c’est l’île tout entière qui se meurt jusqu’à son évacuation définitive en 1930.
Ile Saint-Paul (France), 7km2, inhabitée. Le 18 juin 1871, le HMS Magaera s’échoue à l’entrée du cratère de cet ilot minuscule, perdu sur la route de l’Antarctique. Deux hommes gardent cette possession française. L’un se présente comme « le Gouverneur », l’autre comme « le sujet ». Un mulâtre est censé avoir vécu avec eux il y a longtemps. Mais les deux français l’auraient tué, dégusté et conserveraient ses cendres dans une hutte que le « Gouverneur »surveille jour et nuit.
Il y a aussi Amsterdam,58 km2, 25 résidents, tout près du pôle sud. Station météo française. Pas de femmes, le froid, la pluie, la nuit, des manchots dehors et un cinéma qui diffuse des films pornos.
Des dizaines d’îles sorties de la mer, au cœur du Pacifique et Takuu, 1,4km2, 560 habitants. Takuu condamnée qui s’enfonce un peu plus à chaque tempête…Et ses derniers habitants qui renforcent les digues, résistance dérisoire. « Takuu sombrera dans la mer, dans un mois, dans un an. »

Et quand bien même vous trouveriez un caillou où vous ne voudriez pas vivre, il est désirable parce que loin des autres, et tout ce qui est loin des autres est délicieux. L’île est le paradis de la connaissance de soi.
Sublime balade…

Atlas des îles abandonnées , Judith Schalansky, éditions Arthaud

2 réponses à “Atlas des îles abandonnées – Judith Schalansky”

  1. ouaouh, billet sublime ! pour un livre superbe que j’aime bcp moi aussi
    ps : mais pourquoi ne répondez vous jamais ?…..
    Mior

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