La petite communiste qui ne souriait jamais – Lola Lafon

la-petite-communiste-qui-ne-souriait-jamais

Ne me cherchez pas car je suis nulle part

« La petite communiste qui ne souriait jamais ». De loin, au milieu de tous les autres titres, avec sa couverture rouge et aguicheuse, le livre avait cette petite saveur marketing en vogue en ce moment. Un côté « Le vieux fakir qui ne voulait pas fêter son anniversaire dans une armoire Ikea ». J’étais malgré tout attiré, comme je le serais par un paquet de lessive dont j’aurais vu la pub mille fois. Je suis un petit mouton. Cette couverture, je l’avais vue trainer à droite, à gauche, peut-être en feuilletant les Inrocks, Lire ou Onze Mondial, je ne sais plus. Bref, je savais que ce bouquin faisait partie des vedettes de ce début d’année. Je l’ai acheté sans savoir de quoi il parlait, sans même lire la quatrième de couv’ et ça m’a rappelé les temps anciens où je faisais la même chose avec les CD, sous prétexte que la pochette était belle. Couteuses erreurs de jeunesse.

Je ne m’attendais pas à tomber sur Nadia Comaneci. Un nom qui a bercé mon enfance et qui évoque, pêle-mêle, 1976, les Jeux de Montréal, la Roumanie, une enfant surdouée qui avait pris le monde par surprise comme personne ne l’a fait depuis. Son nom, Jusque dans les contrées reculées dans lesquelles j’ai grandi, était considéré comme magique, synonyme de perfection, une perfection d’autant plus étonnante, voire mystique qu’elle était réalisée par une enfant vêtue de blanc. Une sorte de Petite Jésus des Carpates… et Dieu sait qu’on ne déconne pas avec ces choses-là dans les fameuses contrées reculées où j’ai grandi.

Lola Lafon aurait pu écrire une biographie classique et je m’y serais également intéressé. Mais ce qu’elle a réussi à faire dépasse le cadre habituel. C’est une mise en perspective de l’époque à travers la vie d’un petit soldat triste, Un robot communiste de 40 kilos qu’on est venu chercher à 6 ans à l’école pour en faire un phénomène de foire à la gloire de l’ambitieuse Roumanie du Camarade Ceausescu.
De la victoire extraordinaire de Montréal; la perfection de l’exécution allant jusqu’à dérégler les ordinateurs, à une certaine forme de déchéance, tout est là dans les mots de Lola Lafon. La structure du livre est géniale, allers retours entre narration et discussions fantasmées avec Nadia Comaneci sur la même construction du livre, façon making off. Réflexion sur le monde communiste de l’époque du rideau de fer, sur nos sociétés de consommation aussi. La grande histoire par la petite porte.
Nadia a-t-elle été forcée à performer quitte à mettre sa santé en danger ? A-t-elle été maltraitée par Belà son entraineur mythique aux moustaches proéminentes ?

C’est un contrat qu’on passe avec soi-même, pas une soumission à un entraineur. Moi, c’étaient les autres filles, celles qui n’étaient pas gymnastes, que je trouvais obéissantes. Elles devenaient comme leurs mères, comme toutes les autres. Pas nous.

Nadia a-t-elle été complaisante avec le régime ?
Pensait-elle ? Avait-elle le droit d’avoir ne serait-ce qu’une opinion ? A-t-elle été lâche ?
Toutes ces questions sont abordées avec beaucoup de subtilité. Tout comme le traitement de l’image de l’enfant par le monde occidental en 1976. Le regard que portaient les journaux, (et peut-être beaucoup d’hommes) sur elle à l’époque avait cette ambiguïté dégueulasse et à peine voilée de la pédophilie esthétique. La même que pour Jodie Foster ou Brooke Shields. De la pureté de l’enfant, de sa perfection nécessairement souillée par le passage à l’adolescence, aux formes qui se dessinent sur un corps innocent qu’on a vénéré… Il y avait quelque chose de pourri au royaume de la gym et dans les yeux des spectateurs en 1976.
J’ai été fasciné par ce livre, par les confessions (qui n’en sont pas vraiment…) de Nadia C. par sa dureté à posteriori, son regard figé sur le passé.
Je ne peux que le recommander, peu importe que vous aimiez la gymnastique ou que, comme moi, vous n’en ayez rien à faire, c’est d’une histoire du XXème siècle à travers l’histoire d’une de ces icônes populaires dont il est question. Et c’est magnifique.

La petite communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon, éditions Actes Sud

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s



%d blogueurs aiment cette page :