Les Bonnes Gens – Laird Hunt

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Jadis j’ai vécu en un lieu peuplé de démons. J’en étais un aussi.

Brutal. C’est sans doute le qualificatif qui convient le mieux au roman de Laird Hunt. L’histoire d’une ferme du Kentucky et de ses habitants en 1850. Ginny est une gamine blanche à peine majeure, tout juste mariée à un éleveur de porcs dans une ferme isolée qu’on surnomme Paradis. En quelques mois, la gamine passe de l’enfance à l’enfer. Battue par son mari, elle découvre avec lui la violence, celle qu’elle subit dans sa chair et celle qu’elle le voit infliger aux esclaves noirs qui vivent avec eux. Un violence ordinaire qui rythme le quotidien à coup de fouets et à coups de bottes. Ginny opère une transformation lente. De victime, elle passe à bourreau et commence à frapper elle aussi. L’homme, lui, ne respecte que ses porcs qu’il laisse libre de leurs mouvements et qui hantent les lieux.
Un jour, les jeunes esclaves, deux sœurs qui n’ont connu que cette vie, se rebellent. Et Ginny, le bourreau de leur âge, va devenir victime et subir les pires châtiments. De la violence nait la violence. Une Histoire de l’Amérique à travers un récit sec et sans concessions.
Il y a un peu de Faulkner dans ce roman malgré tout pas du tout complaisant avec la barbarie, qui raconte à plusieurs voix le chemin de la haine et celui de la rédemption. Les personnages sont nuancés et riches, loin d’être caricaturaux. Laird Hunt, dans un style assez onirique, souvent poétique, nous entraine sur des voies troubles parfois à mi-chemin entre le rêve et le cauchemar. Il altère volontairement notre perception, nous perd au Paradis, nous abandonne, sonnés, au milieu de rats, des porcs et des coups de fouets. De quelle couleur est le monde quand on ne le voit plus ?

Le roman se termine en 1930 sur la tombe d’un des protagonistes.
1930 c’est hier, l’Amérique est encore bien jeune, et on ne peut s’empêcher de penser que son passé pas si lointain continue de la hanter.
L’esclavage n’était pas l’apanage des américains bien sûr, mais eux, contrairement à nous, les « Vieux Européens », l’ont vécu sur leur sol. Nous, nous avons au moins eu l’avantage de pouvoir faire nos saloperies ailleurs, dans les colonies. Notre sol n’est pas souillé, la terre de la Métropole et nos mains sont « propres » et l’histoire est plus facile à oublier. A moins que ce ne soit également notre histoire ? On a tous un côté Porcinet au pays de la charcuterie…

« Les porcs faisaient un bruit quand on leur dérobait la vie, et ce bruit est demeuré avec moi dans un coin de ma tête. Un porc est un animal sensible. Il sait ce que vous lui faites et il sait pourquoi. Un porc sait observer. Il a vu ce qu’on a fait à ses camarades: il les a vus pendus au soleil pour qu’ils sèchent. Il a mangé les restes de ses frères dans sa pâtée. Un porc vous dira tout net que vous venez à lui sur les ordres de l’enfer et que vous retournerez en enfer, et que, avec vos poches pleines de porc séché, l’estomac plein de couenne grillée, ce sera bien douillet. »

Les bonnes gens, Laird Hunt, éditions Actes Sud.

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