Je me méfie. J’ai toujours peur que ça ne dure pas. Dès qu’il y a un moment de bonheur, de paix, je me répète que ça ne durera pas. Que le temps est un menteur. Qu’avoir quelque chose c’est commencer à le perdre. C’est comme cela que je fonctionne. C’est ce que la vie m’a appris. Si tôt. La perte. Le peu de fois où je l’ai oublié, le boomerang m’est revenu entre les dents.
Une belle découverte. Encore un livre choisi (mais comme dit Didier Deschamps, Choisir c’est éliminer) sur le stand Alma au salon du livre. Je leur aurais bien tout pris ce jour-là…Ici ça va, roman de la convalescence. Récit, court, d’un homme à la recherche de son propre équilibre, un homme qui vient tout juste de stopper sa chute et qui réapprend à vivre, tentant d’oublier sa dépression en réapprivoisant les images de son enfance. Cet homme, dont on comprend qu’il a été traumatisé par la mort, le suicide de son père quand il était enfant, tente un retour sur les terres oubliées de cette époque. Lui et sa femme investissent la vieille maison de famille et débroussaillent, nettoient les ronces et les souvenirs. Attentif aux odeurs, aux couleurs, aux saisons, l’homme refait connaissance avec lui-même, adopte le rythme de la terre, fait communion avec les éléments, écoute, observe, tente de comprendre le monde qui l’entoure pour mieux, enfin, l’intégrer. Les images de l’enfance oubliée refont surface les unes après les autres et les plaies commencent à se refermer.
Thomas Vinau nous propose un texte extrêmement sensible, un retour à la terre (dans un style différent de Manu Larcenet ! quoique…) empreint d’une fragilité rare dont je commence à croire qu’elle est la marque de fabrique des auteurs Alma. Des dizaines de billets, courts, concis, économes, comme autant de bulletins de santé consignés dans un carnet. Et puis la vie qui revient et s’installe au fur et à mesure, au fil des mois et des saisons. Le bruit de la rivière qui coule, la taille de la vigne, le bouilleur de cru, le chasseur, le gibier. En peu de mots, l’auteur plante un décor, installe un rythme, inscrit l’homme dans un ensemble qui le dépasse et l’accueille, lui permet de comprendre et d’accepter qui il est pour mieux renaitre à la fin.
De la pure poésie en prose. Superbe.
Il y avait un tilleul sous la masse informe du chèvrefeuille. Il était entièrement recouvert de ses lianes. Tout au long de la journée un perpétuel bourdonnement placide d’abeilles en plein boulot nous accompagne. Ces parfums mélangés de l’arbre et de lianes explosent dans l’air du soir. Ils dominent tout.
Ici ça va, Thomas Vinau, éditions Alma