Je ne me souviens plus exactement de ce que j’avais ressenti à la sortie de Mulholland drive. Sans doute une sorte d’admiration interrogative, un peu de fascination perplexe et le sentiment d’être un peu, voire beaucoup plus con que la moyenne. Très vite, j’avais compris que la caste des cons n’était snobée que par celle des « plus malins que tout le monde » et que au final, le film de Lynch restait un mystère insoluble pour la plupart des spectateurs.
Je n’irais pas jusqu’à dire que Les rêves de guerre le dernier roman noir, si noir de François Médéline est aussi nébuleux, tordu et cauchemardesque que Mulholland drive mais j’avoue avoir parfois ressenti à sa lecture une sensation de tangage étrange, le sentiment que ma barque, bien accrochée à ses amarres sur les rives calmes du Lac Léman, partait à la dérive, entourée d’un brouillard épais qui transformait le lac en un océan sans fin.
Les rêves de guerre est un roman ambitieux. Mi polar aux rebondissements classiques et efficaces, enquête musclée, flics alcolos à la gâchette facile, seconds rôles à têtes de coupables; Mi réflexion interrogative sur la nature humaine, la filiation et le poids du passé.
La langue de Médéline est exigeante. Tantôt facile et gouaillarde, bourrée de références populaires liées aux années 80, (Ulysse 31 ou Raymond Domenech en futur entraineur idéal des bleus !) tantôt difficile, très littéraire, dans des pages de pure poésie noire, mise en abyme très habile et tout à fait déconcertante. Et puis il y a le dernier chapitre, que j’ai dû lire deux fois, feu d’artifice opaque chargé à la dope, qu’on doit déblayer à la machette dans le noir.
J’ai refermé le bouquin, assez admiratif, avec l’impression d’avoir lu certains passages d’un œil pas assez vigilent, d’avoir loupé des indices et des passages secrets. Je me suis senti un peu con, je me suis dit que Médéline était un gros malin, un esprit libre à la langue parfois complexe, un écrivain à l’univers foisonnant qui ne s’interdisait rien, quitte à perdre son lecteur par moments.
Je me suis surtout dit qu’il faudrait que je relise Les rêves de guerre pour en apprécier toutes les subtilités et comprendre comment Médéline avait pu ouvrir autant de tiroirs tout en parvenant à les refermer efficacement. Je me suis dit que je n’avais quand même jamais lu un truc comme ça.
Je dis le livre de feu
Tu liras le livre de feu, les pages qui brûlent
Maman ne lira pas,
Papa, écoute, écoute, Papa
Toi, moi, rêvons jusqu’à la lie
Nous enfantons les fous, des paradis
Et vous lirez parmi les flammes,
Rien que des morts, des clairs de lune
Les rêves de guerre, François Médéline, éditions La manufacture de livres