» J’ai dépensé tout mon argent dans les voitures, l’alcool et les femmes. Le reste, je l’ai gaspillé. »
Je poursuis ma rééducation littéraire et mon sevrage footballistique. Les deux ne sont pas incompatibles, la preuve. J’ai trouvé mon bonheur à travers le portrait d’un homme du siècle, George Best, un héros malheureux, une idole adulée comme une rock star. Un artiste du football, né en même temps que les Beatles, un peu trop malin pour ne pas savoir que sa gloire était éphémère, que l’étourdissement ne durerait pas et que plus dure serait la chute.
Je suis un peu trop jeune pour avoir connu George Best du temps de sa splendeur. Quand j’étais gamin, mon briton préféré était Kevin Keegan. Best, lui, était d’un autre temps, de l’époque précédente. Nord-Irlandais, il n’avait jamais joué la coupe du monde. On ne pourrait jamais le comparer aux Pelé, Maradona ou Platini. Bien sûr, j’avais entendu son nom ici ou là, référence évoquée à la fin d’un Stade 2 ou d’un Téléfoot mais le nom n’évoquait rien de plus pour moi que Di Stefano ou Ferenc Puskas…
C’est sous la forme d’un CD que George Best était entré chez moi. En 1987, The Wedding Present, combo anglais post-punk énervé avait sorti un album qu’ils avaient sobrement appelé George Best en l’honneur de la vedette historique de Manchester United. Quelques années plus tard, j’avais vécu en Angleterre et j’avais pu mesurer l’aura dudit génie ange déchu.
Best c’était grandeur et décadence. Sur le terrain, il avait égalé les plus grands joueurs du monde. Il avait gagné la Coupe d’Europe en 1968, reçu le Ballon d’or à 22 ans la même année, et commencé à sombrer en même temps que son club, jusqu’au tréfonds de l’existence, la déchéance absolue.
Vincent Duluc, journaliste en chef de l’Equipe, profil atypique plus proche d’Antoine Blondin ou de Pierre-Louis Basse que de Thierry Roland, s’attache à la légende du James Dean du football, ce gamin torturé, trop doué, trop fin, trop beau qui s’est détruit une bouteille à la main en prenant le monde à témoin.
C’est l’histoire d’un garçon de Belfast, timide et trop maigre pour jouer le football physique de l’époque qui un jour se retrouve dans un ferry à destination de Liverpool puis Manchester. Best a 16 ans, cire les pompes des professionnels après l’entrainement mais intègre très vite, surdoué, l’attaque de Manchester United pour l’emmener jusqu’au titre européen. Une épopée ordinaire en somme, au regard des héros de notre époque, les Messi, Ronaldo ou Neymar. Seulement il y a chez Best quelque chose qui a à voir avec les excès du Rock ou du Punk. George est le frère de Jim Morrison, de Jimi Hendrix et de Syd Barrett. Il a tout juste 22 ans et la dépression, jamais diagnostiquée, le rattrape et l’entraine vers le grand nulle part.
Il n’y a pas plus vide qu’un sportif après la victoire, une fois le bonheur dissipé il ne reste rien de l’objectif d’une vie; en attendant la prochaine montagne il faut se résoudre à vivre en plaine.
A partir de là, Best vit une vie en pointillés, faite d’innombrables conquêtes féminines, de nuits passées à jouer et boire. Best oublie de se présenter à certains entrainements, manque certains matches, perdu dans des draps inconnus, fait le bonheur des tabloïds, une nouvelle victime, célèbre si possible, à son bras en couverture toutes les semaines. Best est la proie des journalistes « People » avec lesquels il s’amuse pour tromper sa solitude. Evoquant ses manquements répétés, et revenant sur sa carrière à Manchester : “I used to miss a lot. Miss World, Miss Great Britain…”
Best le séducteur adulé se donne en spectacle, conduit Rolls Royce, Jaguar et Lotus, se perd un peu plus chaque jour dans l’alcool, déclare, à 26 ans qu’il ne jouera plus, revient pour mieux repartir, accepte les cachetons de petits clubs pour lesquels il se traine et oublie parfois de se présenter, fuit à Los Angeles dans le club des Aztecs où il retrouve un semblant de vie pendant quelques mois, puis sombre à nouveau et glisse un peu plus vers le fond de la cuve :
En Californie il habitait sur la plage, mais il y avait un bar entre sa maison et la mer et il n’était jamais arrivé jusqu’à l’océan
Le cinquième Beatles retrace avec beaucoup de justesse, l’itinéraire d’un gamin surdoué et de son suicide au long terme. Triste et pathétique. Les frasques de Best sont restées aussi célèbres que ses buts et son alcoolisme s’est donné en spectacle jusqu’à sa mort en 2005, chacun voulant sa part du gâteau médiatique. George monnayait ses moindres apparitions télévisées. Ses bons mots aussi fins que cyniques faisaient les choux gras de la presse.
George Best, victime consentante de la presse à scandale, héros attachant dont cent mille personnes ont suivi le cercueil dans les rues de Belfast, triste précurseur de notre époque.
Bon, je pense que pour l’anoblissement c’est foutu.
Allez, un petit Wedding Present pour se redonner la pêche.
Le cinquième Beatles, Vincent Duluc, éditions Stock