Le météorologue – Olivier Rolin

9782021168884

Demain cela fera un mois que j’ai envoyé ma septième lettre à Staline. Soit mes lettres n’arrivent pas, soit elles ne sont pas lues. Je crains en mon âme que personne ne se soucie de la vérité.

Il s’appelait Alexéï Féodossévitch Vangengheim. C’était un scientifique austère, un citoyen soviétique moyen, un suiveur appliqué qui regardait le ciel et essayait de prédire le temps qu’il allait faire sur ce pays continent aux onze faisceaux horaires. Il rêvait de prédictions planétaires, rêvait de grandeur universelle aux couleurs de la Révolution, essayait de deviner la course des nuages, les dépressions et les orages. Il avait le nez plongé dans ses calculs et dans la certitude de la mère patrie. Il ne se posait pas de question. Aucune.

Le huit janvier 1934, on l’arrête alors qu’il s’apprête à rejoindre sa femme à l’Opéra de Moscou. On le laisse moisir quelques jours puis on le questionne sans qu’il comprenne jamais pourquoi on l’accuse de sabotage. Regards impassibles de ses interrogateurs, accusations masquées, Les bureaux de la police politique ressemblent au décor d’un roman de Kafka. On lui extorque des aveux, il les signe puis se rétracte. Trop tard.

Tenant compte de mon repentir sincère et de mon regret d’avoir agi criminellement contre le Parti, le pouvoir soviétique et la classe ouvrière, j’espère dans l’avenir, si on me laisse en vie, expier pleinement ma culpabilité par le travail honnête et intensif pour le bien du pays soviétique.

Vangengheim arrive au goulag sur les îles Solovski au nord-ouest, près de la Finlande. Il ne comprend pas. Incrédule, il continue aveuglément à croire dans le Parti. Les jours, les mois passent. Trois ans qui n’entament même pas sa foi aveugle. Il pleure sa petite fille à qui il envoie des dizaines de lettres et de dessins. Magnifiques descriptions de paysage enneigés et d’aurores boréales. Vangengheim se raccroche à l’espoir vain d’un révision rapide de son cas.

Demain cela fera un mois que j’ai envoyé ma septième lettre à Staline. Soit mes lettres n’arrivent pas, soit elles ne sont pas lues. Je crains en mon âme que personne ne se soucie de la vérité.

Et puis, en 1937, la répression ordinaire fait place à la Grande Terreur et 750000 innocents sont exécutés sur ordre du zélé Nikolai Iejov le chef de la Police qui finira lui aussi par être exécuté. Vangengheim disparaît, comme des milliers d’autres prisonniers. On dit à sa femme que sa condamnation a été révisée, dix ans de goulag sans contact. Puis on lui annonce sa mort en 1942. Mais elle ne connaîtra jamais la triste vérité. Elle mourra en 1977 sans avoir jamais su que Vangengheim avait reçu une balle dans la nuque, un jour de 1937 au fin fond d’une forêt perdue. Entassé dans une fosse au milieu de dizaines d’autres corps sans aucune forme de procès.

Photographie d’une des pires périodes de l’histoire. Olivier Rolin nous propose un portrait de la Russie soviétique à travers la persécution ordinaire d’un de ses sujets. Un portrait de la folie paranoïaque qui emporta toute une nation sous l’emprise d’une idéologie totalitaire mais surtout d’un tyran sanguinaire. L’URSS de 1930, c’était avant tout la peur de disparaître, de se faire dénoncer par son voisin, son frère, son collègue, sa femme. C’était une folie meurtrière unique à cette échelle que Rolin a relatée à travers cette petite parcelle d’humanité, perdue dans la brutalité froide de l’époque.

Je préférerais qu’il soit intraitable, je préférerais l’admirer, mais il n’est pas admirable et c’est peut être ça qui est intéressant, c’est un type moyen, un communiste qui ne se pose pas de question.

Rolin n’admire pas son héros et c’est ce qui rend le récit encore plus attachant. Vangengheim est un homme ordinaire qui n’arrive même pas à envisager que le Parti puisse être animé par autre chose qu’un élan de justice. Comment peut-on se tromper à se point, comment Staline a t’il autant pu tromper le monde et l’entraîner dans une telle folie? Rolin pose un regard mélancolique sur ce pays qui l’attire tant. Il y a quelque chose de résolument tragique et résigné dans le destin de l’homme russe que l’auteur parvient à transmettre avec juste ce qu’il faut d’émotion. Les bourreaux sont fusillés à leur tour, remplacés par d’autres bourreaux qui finissent fusillés eux aussi, et ainsi de suite…

Le météorologue, magnifique regard désabusé sur une des folies les plus incroyables de l’humanité.

Le météorologue, Olivier Rolin, éditions Seuil, Paulsen

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