Quelque part ,invisible au cœur de la masse, un oiseau bande ses muscles. Il bat des ailes et prend son envol. Une file de freux s’élève, sortant de la masse, ligne qui monte, s’enroule sur elle-même, en colimaçon dans le crépuscule. Elle s’épaissit à la base, en spirale, puis dessine des formes dans le ciel : tourbillon, vortex, telle une teinture noire versée dans de l’eau, se mouvant sans fin, imprévisible. Il est difficile de croire qu’il s’agit là d’oiseaux individuels, on dirait qu’une force singulière, animale, dessine des formes fantastiques dans la nue.
Un conte gothique un peu dérangeant au cœur de l’Angleterre victorienne. Une histoire funeste hantée par des corbeaux, présences maléfiques qui tournoient autour de la vie de William Bellman, le personnage principal de ce roman aux couleurs bien sombres.
Une bande de gamins, un jour, dans une petite ville se lancent un défi. Le jeune Will, enfant maudit d’une famille aisée, lance-pierre en main, accepte de viser un corbeau tranquille, supposé hors d’atteinte. Le jeune garçon prépare son coup, vise et observe la courbe parfaite que la pierre décrit avant de heurter l’oiseau qui tombe, inerte, au sol.
Un acte apparemment anodin qui le poursuivra toute sa vie, comme si un sort lui avait été jeté par l’oiseau mort, comme si la mort elle-même avait décidé de se venger et d’attendre patiemment son heure dans l’ombre. Bellman, devenu un homme d’affaires à succès, voit le sort s’acharner sur lui, sa famille décimée par une épidémie, ses amis mourir les uns après les autres. Les enterrements se succèdent et une ombre continue de poursuivre Will. Un homme, en manteau noir, est là à chaque fois. Un homme qu’il ne connait pas et qui le hante jusque sur la tombe de ses proches, qui le poursuivra jusqu’à la folie puis jusqu’à la mort.
Un drôle de roman dérangeant, très noir, un truc à la Mary Shelley sur une BO de Dead Can Dance, qui met le corbeau au centre de la pensée et de la mémoire, ombre malfaisante qui tournoie autour des esprits malades. L’homme au manteau noir est un roman très maitrisé, esthétique, assez passionnant mais vraiment étouffant, voire plombant. Une plongée avec miroir réfléchissant dans un univers mortifère qui, une fois le livre refermé nous donne une envie furieuse d’écouter la Compagnie créole en regardant un bêtisier à la télé, histoire de respirer un peu. Quant aux corbeaux, je m’en méfiais déjà un peu, je les fuis désormais.
Les corbeaux sont faits de pensée et de mémoire. Ils savent et n’oublient rien.
L’homme au manteau noir, Diane Setterfield, éditions Feux croisés