Il en avait marre du rock, la scène hardcore et toutes ces merdes. On n’appelle pas ça sous-culture par hasard.
Difficile d’éviter la gueule de bois. Compliqué de ne pas voir dans la chute inévitable programmée, presque volontaire de Vernon Subutex, le négatif de ce qui aurait pu être la nôtre, si on ne s’était pas raccroché au dernier wagon, juste à temps.
Vernon, ex-disquaire resté sur le quai, dernier témoin d’une époque révolue, a vu son monde s’effriter, jusqu’à la fin, jusqu’à l’agonie. La petite cinquante rock, le petit look qui va bien, la petite picole, le punk-rock, le hardcore en décor unique et en trompe l’œil , folklore classe pas fait pour vieillir.
Elle était obsédée de rock, il connaissait le genre – une tarée qui s’est réfugiée dans ses disques.
Vernon s’est fait rattraper par le temps. Fin de droits, expulsion, la rue, provisoire, bien entendu. Vernon sonne à la porte de son ancienne vie. Témoins vieillis d’une époque révolue, ex-membres de groupes de punk-rock, fantômes en tous genres entrés amochés dans l’âge adulte, tous accueillent pour quelques jours, l’ex-icône de quartier, image pathétique et nostalgique de leur jeunesse envolée. La chute est inéluctable, Vernon solde sa vie dans un dernier tour de piste en forme de fuite.
Alors je revois ma jeunesse, mes vingt, vingt-cinq ans, passés sur un canapé trop mou, à écouter l’exacte playlist de ce roman à la nostalgie tenace. J’ai connu des Vernon, j’aurais pu être Vernon. J’ai longtemps regardé le train passer – un peu plus stressé qu’une vache – anesthésié par la léthargie qui s’était installée et par le réconfort que le folklore et la famille rock apportaient, conscient qu’il ne restait que quelques wagons avant le grand désert silencieux.
J’ai donc lu Vernon Subutex avec une attention particulière, franchement amusé par toutes ces références improbables que je ne pensais JAMAIS trouver dans un texte dit littéraire. Le Gun club, Fugazi, Tad, les Thugs, tout y passe. Le décor est troublant, presque trop familier. Collection remarquable de portraits ordinaires, Vernon Subutex n’est pas un roman classique. Pas ou peu de scénario à proprement parler, une errance, des gens qui se croisent, qui se méfient les uns des autres, qui s’aiment furtivement et qui s’évitent. Des rencontres aussi, très belles, comme celle entre Vernon et Patrice, ce fantôme qui vit désormais seul sans sa femme et ses enfants et qui confesse la violence conjugale, quotidienne et implacable, au bout de la nuit et de la bouteille de rhum, au détour d’un superbe dialogue tout en pudeur. Aïcha, la Hyène, Lydia Bazooka, Xavier, Pam, les écorchés se succèdent et montrent leurs plaies.
Les gens qui ne cognent jamais ne savent pas comment ça marche. C’est un animal tapi dans la panse, il est plus rapide que le raisonnement. Et une fois que c’est parti, c’est comme une vague : On ne l’empêche pas de déferler en y mettant de la bonne volonté.
Pourtant, pendant 200 pages, je me suis un peu demandé ce que je faisais là. Je ne voyais pas où Virginie Despentes cherchait à nous emmener. Cette errance, ok, mais pourquoi ? Où était l’intrigue ? je ne voyais pas. Et puis l’évidence s’est imposée au fil des chapitres. Une histoire du rien, comme celle de Vernon. Une longue descente sans bruit vers l’oubli devant témoins. La vie qui part en miettes, une forme de déchéance qu’on aime pas trop regarder en face de peur qu’elle nous gangrène.
Je ne sais pas si Vernon Subutex mérite tous les éloges, la langue de Virginie Despentes n’est peut-être pas universelle. Moi, ça m’a remué du côté des racines et ce matin, je porte un vieux tee-shirt des Thugs, petit réflexe nostalgique, sans doute un bouquet de fleurs déposé sur l’autel de mes vingt ans.
Les Thugs, puisqu’on en parle. A partir de 2:25 personne ne me parle. Dents serrées, yeux fermés. Impossible à expliquer.
5 réponses à “Vernon Subutex – Virginie Despentes”
perso , ce n’est pas Vernon qui m’a le plus parlé ; Vernon c’est un peu un ectoplasme , un gars sans trop de convictions mais qui sert de révélateur aux autres, dans le sens du produit photo (oui, je parle d’un temps que les moins de vingt ans …)
Curieux, en lisant ton billet j’ai l’impression que cela t’a touché , oui, mais sans t’avoir vraiment plu
Ah c’est marrant, j’ai cherché Vernon partout. Pour moi c’était le contraire, les autres portraits me détournaient de son sujet et pendant deux cents pages, ça m’a gonflé pour cette raison. Je me suis dit que Vernon était un lien un peu factice entre tous les personnages, et puis heureusement il est redevenu central et ça m’a emballé. Vernon c’est le plus beau fuyard que j’ai jamais vu, les mecs le connaissent bien…
si tu le dis 😉
Un inculte du rock de cette époque y trouvera-t-il son compte ? Pas évident ?
Énorme le passage de thugs. Dès la première écoute, c’est comme envoûtant. J’ai même refusé de baisser le son !
Eh ben Geo ! Vas-y sur le Sur le 1er tome, c’est avant tout une superbe galerie de portraits