Quand les gens sont morts, c’est qu’ils ont vécu. Non ?
Tout d’abord il y a l’auteure, Monique Rivet, octogénaire, publiée chez Gallimard dans les années 60. Cinquante ans ou presque de silence littéraire et puis en 2012 un retour, Le Glacis, texte resté dans un tiroir depuis la fin des années 50. Quidam éditeur publie Le cahier d’Alberto, son dernier roman, écrit, non pas pendant le mandat de René Coty mais récemment. Du moins on peut le supposer quand les deux personnages principaux communiquent par courriers électroniques.
Saint Julien, Cévennes, un jeune couple s’est installé sur les hauteurs du village, dans une vieille bâtisse en pierres. Sandro, italien, traducteur rêveur toujours à la frontière entre monde imaginaire et réalité, Céline sa femme, comptable et pragmatique, Monsieur Leleu, le voisin qui connait tout de ces vieilles pierres et de leurs secrets. La maison a une histoire, comme toutes les maisons mais celle-ci, Sandro le sent, a quelque chose en plus, quelque chose de lourd comme un secret, qui fait rôder les ombres des anciens occupants le long des murs.
Le vieux Leleu se souvient. Alberto vivait là avec sa sœur et son frère. Jeune maquisard italien, sans doute un peu étrange, Alberto a laissé un cahier dans lequel il a tout raconté. Leleu l’a lu ce cahier, il y a longtemps. Il en garde des souvenirs où se mêlent rêves, légendes et vérités. On ne sait pas. On parle d’un meurtre dont Alberto aurait été témoin pendant la guerre, celui d’un gamin, un pêcheur, abattu dans le dos par un soldat allemand.
Sandro est obsédé par son image. Il voit Alberto qui se défile derrière chaque mur de cette maison habitée par le passé. Pourquoi cette obsession ? Le roman, dense, serré, exigeant, brillant, multiplie les allers-retours entre les pensées, les rêves éveillés du narrateur et les dialogues entre Sandro, son voisin et sa femme. Une impression diffuse se dégage, un peu trouble, comme un soleil voilé de mi- saison. On nage entre deux eaux, jamais sûr d’être totalement éveillés, un peu dérangés par le silence. On vit au rythme de Sandro, décalés, à la recherche de quelque chose qu’on n’arrive pas à définir. Sensation confuse, très maîtrisée par l’auteure, qui ne se dissipe – et encore- qu’à la lumière d’une phrase à la toute fin, ultime révélation qui clôt ce rêve inachevé.
Le cahier d’Alberto, un roman à part, aux codes singuliers, qui exige du lecteur qu’il se laisse guider, dériver, quitte à se perdre parfois. Une belle expérience.
Pourquoi cet étonnement que j’ai de me trouver là, dans ces murs étrangers qui se sont refermés sur moi comme une coquille ?
Le cahier d’Alberto, Monique Rivet, Quidam éditeur