Avec leurs vêtements en loques pendant sur leurs corps efflanqués, on aurait cru des épouvantails en route pour un nouveau champ de maïs.

L’Amérique crasseuse, celle qui se débat dans l’ombre, loin des lumières de la ville, Ron Rash s’en est fait le porte-paroles, comme William Faulkner avant lui. La Caroline du Nord, état un peu anonyme, cœur de l’Amérique profonde, rurale, est le théâtre de ce recueil de nouvelles, douze histoires courtes comme autant d’hommages au quotidien rugueux des terres du Sud. Les temps difficiles ou la misère absolue de la Grande dépression, L’envol, et ce gamin qui assiste impuissant à la déchéance de ses parents drogués, Lincolnites, l’histoire de cette femme de soldat Yankee, attendant seule dans sa ferme le retour de son mari, Dans la gorge, Incandescences. Des hommes, des femmes qui souffrent, se battent et refusent de céder. Des portraits tout en nuances qui refusent toute forme de manichéisme. Il n’y a pas de gentils et de méchants, il n’y a que des vies, compliquées parfois, nouées, taiseuses, rurales.

Des photos, des instantanés de l’Amérique poussiéreuse et contemplative, humble aussi, que Ron Rash nous a habitués à retrouver depuis Un pied au paradis.

Lily empoigna une des aiguilles à tricoter. Elle pensa au cochon, qu’elle avait tué en janvier, se souvint comment le foie s’enroulait autour de l’estomac.

Il y a quelque chose d’imparable dans ces douze nouvelles vaguement mélancoliques, pas déprimées pour autant. Une violence larvée, une lenteur qui précède la tempête, une colère prête à vous sauter à la gueule, tapie dans l’ombre. La mort qui rôde, omniprésente, le silence, un éclair, puis le silence à nouveau. Comme McCarthy ou Bruce Machart, Ron Rash nous raconte l’Amérique versant ombragé. Des histoires ordinaires, sublimées, sublimes.

Incandescences, Ron Rash, éditions du Seuil