Les enfances difficiles ne sont pas des mystères, ce sont des blocs de construction de la vie. De l’enfer quotidien que vit presque tout le monde. La seule chose qui vous paraît plus pathétique que le fait que vous laissiez cela se reproduire est que vous l’autorisiez à vous briser en deux alors même que vous en êtes désormais libéré.
Un roman noir, tellement noir de Benjamin Whitmer l’auteur résolument sombre de Pike. Rien à espérer dans cette descente promise aux enfers. Juste la chute programmée, inexorable, sous dope et whisky de deux paumés américains, nourris à la violence, jamais épargnés par la vie et qui règlent leurs comptes avec leurs poings dans le meilleur des cas, avec leur flingue la plupart du temps. Patterson vit dans la poussière de la mesa, une bouteille à la main, à l’écart de la ville et de la société dont il se méfie depuis que Justin, son petit garçon, est mort d’une forte fièvre, mal ou pas soignée par le docteur du coin. Junior lui, n’en finit pas de vomir son enfance malmenée entre paternité foireuse, fuite permanente, rails de coke, alcool et trafics en tous genres.
La plupart des jours il s’entend avec les gens aussi bien que n’importe qui, mais il y en a certains où sa peau semble se peler tout entière de son corps, exposant l’intégralité de son réseau nerveux au monde extérieur.
Se détruire, casser la gueule du miroir qui renvoie votre image, tuer le père, physiquement si possible. Boire, se droguer jusqu’à en crever, frapper les autres pour se punir soi-même, être incapable d’aimer et faire souffrir ceux qu’on aime, descendre lentement vers le fond parce qu’on a pas le courage de pointer le flingue contre sa tempe.
J’avais hâte de t’apprendre un jour à tirer)( je me disais que tôt ou tard je finirais par t’acheter un petit .410 rien qu’à toi. J’y pensais. J’allais t’apprendre à tirer exactement comme je t’aurais appris à lancer une balle de base-ball.
Ce bouquin, violent, est d’une tristesse hallucinante et paradoxalement, malgré les tonnes d’hémoglobine et les dizaines de dents cassées, d’une sensibilité écorchée absolue. Whitmer nous parle de la souffrance des hommes, de leur incapacité à communiquer, de l’impossibilité à sortir de l’enfance, de la violence de la filiation. Il y a quelque chose de désespéré et d’implacable dans le décor poussiéreux et crasseux des bars miteux que Junior et Patterson finissent par fréquenter ensemble, un truc qui ne peut que vous prendre aux tripes, comme les nouvelles de Bruce Machart savent vous mettre KO, un uppercut noyé dans le whisky dont on ne se relève qu’avec un œil noir et quelques côtes cassées.
J’ai dévoré ce livre avec un sale goût amer dans la bouche. Junior et Patterson avaient la gueule de Daniel Darc , « Un peu c’est tout » , tournait en boucle, et je me répétais comme un mantra, « Pardonnez nos enfances comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont enfantés. »
2 réponses à “Cry father – Benjamin Whitmer”
Cool, texte et vidéo…
Merci amigo 🙂