-Calmez-vous dit Ledesma en actionnant la lame. -Que m’avez-vous fait dans le cou ? demande la tête. -Rien. -j’ai l’impression que si, conclut la tête.
Qu’est-ce que je connais de l’Argentine à part quelques noms, Maradona, Perron, Videla ? à part les gauchos, la Pampa , le Mondial 78 et les Mères de la place de mai ? Je ne saurais pas l’expliquer mais l’Argentine m’a toujours semblé appartenir à un autre monde, une version martienne de la vieille Europe, un truc très proche et très lointain à la fois, libre et fou, complètement fou.
Je n’ai pas lu beaucoup de littérature argentine, je ne sais rien de Borges, mais les quelques livres que j’ai eu le plaisir de lire m’ont confirmé ce drôle de sentiment que j’entretiens avec cette planète proche. Martin Kohan, le Conscrit , Lucio Puenzo Wakolda ou Guillermo Saccomano l’Employé , tous cultivent ce rapport avec la folie, avec une violence collective presque identitaire inscrite dans l’histoire du pays. Il y a quelque chose d’à la fois foncièrement cinglé et séduisant en Argentine que la littérature parvient parfaitement à traduire. La Madrivore est un délire glaçant, une fable scientifique au ton absurde qui croise une obsession artistique déviante.
1907, Buenos Aires, les médecins d’une clinique spécialisée en cancérologie, persuadés qu’une tête décapitée continue de vivre neuf secondes après la séparation d’avec le corps, expérimentent leur théorie sur des malades en fin de vie. Délire scientifico-mystique porté par des blouses blanches angoissantes, personnages détachés aux propos et aux actes loufoques, armée blanche inquiète et inquiétante, amoureuse comme une seul homme transis d’une seule et même femme, l’énigmatique et froide infirmière Menéndez. Lunaire, absurde et menaçante, cette petite troupe célèbre l’Argentine, la bouffe (d’ailleurs le bouquin m’a un peu rappelé « La grande bouffe » par certains aspects), la digère. La seconde partie qui se déroule en 2009 prolonge le délire à travers l’histoire d’un « monstre moderne », artiste extrême, presque bicéphale qui fait du corps et de sa disparation une œuvre d’art. Là aussi, on ingère, on dévore de l’intérieur, on bouffe cette Argentine étrange et peuplée de fantômes, symbolisée par cette plante imaginaire, la Madrivore dont la sève végétale produit en passant de la flore à la faune, transfert encore à l’étude, des larves animales microscopiques. Ces larves ont pour fonction de dévorer le végétal jusqu’à le dessécher complètement.
Exister, c’est pouvoir mastiquer
La Madrivore est un roman étonnant, déroutant et obsédant. Premier roman de Roque Larraquy, il nous balade du côté bizarre, presque dérangé de l’Argentine dont on se dit qu’elle n’en finit pas de se débattre avec son passé, qu’il soit peuplé de conquistadors européens sanguinaires, de nazis nostalgiques ou des enfants de Videla. Brillant et glaçant à la fois…
L’Argentine a gagné.
La madrivore, Roque Larraquy, Christophe Lucquin éditeur.
Une réponse à “La madrivore – Roque Larraquy”
Super maison d’edition ! Bon bouquin ….moins aimé la fin …..mais le catalogue de Chirtophe Lucquin merite le détour!