La position du tireur couché – JP Manchette

  

Anne l’a quitté à l’automne de cette année-là. Tout d’abord elle avait accepté de s’installer avec Martin Terrier pour une vie nouvelle sous une nouvelle identité, dans une localité des Ardennes françaises.)(Mais elle s’est vite lassée d’une existence sans aventures, et pauvre d’argent aussi (car Martin Terrier, sous son identité nouvelle et avec ses capacités actuelles, n’a pu se reclasser que dans la restauration: il est serveur dans une brasserie). Et puis elle s’est lassée des coïts de trois minutes, on peut le penser. 

 Petit tour à la source, du côté des classiques, version polar. J-P Manchette, auteur culte neo-noir, décédé en 1995 se présentait ainsi: « Est considéré comme « gauchiste » et représentatif du nouveau roman noir français. Se réfère aussi vivement à la vieille tendance « réaliste-critique » du roman noir américain, étant entendu qu’elle a changé de fonction et de théâtre. Au reste, pense que le roman a depuis un bon bout de temps fini de donner tout ce qu’il pouvait donner, et cherche seulement à distraire ses amis. »
C’est François Guérif dans son Du polar qui m’avait ramené Manchette à l’esprit. A en croire maître Guérif, L’auteur avait révolutionné le polar français. Il lui avait apporté une dimension nouvelle, inédite, à travers le traitement de l’épaisseur psychologique de ses personnages et rapproché le roman dit de genre, de la littérature traditionnelle. Un petit tour, côté sombre du néoclassicisme s’imposait.

Je me suis donc attaqué à La position du tireur couché, sans doute le plus connu de ses romans, paru en 1980, adapté en BD et au ciné, et qui bénéficie du statut d’œuvre culte.

Martin Terrier, tueur professionnel, clinique, précis et froid comme un méchant tiré d’un film de JP Melville, voudrait raccrocher, prendre sa retraite et rentrer dans le rang. Après une dernière mission réussie, deux balles, deux morts, Terrier annonce à son commanditaire que c’en est terminé. Il congédie son petit monde, y compris sa fiancée et met le cap sur la province pour retrouver son amour d’enfance, celle qui lui avait promis qu’elle l’attendrait dix ans…oui mais voilà, on ne prend pas sa retraite de sniper comme on quitte la fonction publique et Terrier, qui se croyait à l’abri, y compris financièrement, se retrouve bientôt pourchassé par tous les fantômes de ses meutres passés. Sa promise ne l’a pas attendue, elle s’est mariée et l’illusion du petit monde idyllique que le tueur s’était imaginé s’envole aussitot que les emmerdes se rapprochent. Ruiné, poursuivi par tous les salopards répertoriés, affublé malgré tout de sa promise, mariée mais pas trop, un peu nympho, Martin voit ses rêves s’envoler et les cadavres s’accumuler. 

Déconstruction voire démantèlement du parfait tueur des films noirs à l’ancienne. Dans les premières scènes, Terrier est un personnage implacable, à la froideur presque théâtrale. Mais, assez rapidement, dès qu’il pose son flingue, le tueur subit. Scènes absurdes, petits revers, humiliations ordinaires, le sniper se tasse, se fait ridiculiser, cocufier, en devient muet et finit même par bêler comme un agneau dans son sommeil.

Alors malgré sa gueule de polar ultra classique – ça flingue à tous les étages, La position du tireur couché est presque un pastiche qui ne voudrait pas dire son nom. Manchette casse les codes avec brio, emmène le tout à un rythme d’enfer, et on enjambe avec lui les cadavres en souriant. Du beau du grand.

-Est-ce que vous êtes de service 24 heures par jour?

-De 7 heures du matin à 1 heure du matin.

-Vous allez crever, observa Terrier.

-C’est momentané, dit le réceptionniste. je suis ambitieux.     

La position du tireur couché, JP Manchette, éditions Folio Policier.

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