Personne, jamais, ne m’a consolé de ces nuits.
Je dois bien me l’avouer, je pose un œil bienveillant sur tout ce qu’écrit Sorj Chalandon. Depuis Retour à Killybegs, je lui passe tout ce que j’étrillerais chez un autre et je me fais attraper systématiquement par sa petite musique sensible de mec abîmé par les épreuves. J’avais morflé en lisant la promesse même si je suis prêt à concéder que l’auteur y flirtait parfois avec une certaine forme de sensiblerie que je déteste chez les autres. Le quatrième mur m’avait fichu un sale coup aussi, l’épisode sur Sabra et Chatila finissant définitivement de m’achever. Chalandon a cette capacité à émouvoir tout en restant à la limite, s’approchant parfois très près des frontières du too much, mais ne les dépassant, à mon goût, jamais.
Et puis le silence. Je l’ai laissé entrer, avec sa sale gueule. Comme ça, pour voir ce qu’il adviendrait de nous. Un silence de poisse, de glu. Un silence de gêne, de honte, de rien à se dire.
Quand j’ai entendu le pitch de Profession du père, quand j’ai su que derrière ce roman se cachait l’enfance de l’écrivain, une enfance qui n’attendait que la mort du père pour pouvoir la raconter, je me suis d’abord méfié – peur de la larmoyure . Mais très vite, l’envie, voire une certaine forme d’impatience, ont dépassé la méfiance et je me suis laissé faire. Je ne le regrette pas.
Lui l’évangéliste, le croisé charismatique, se disait bien au-dessus de Jésus.
Profession du père, c’est l’histoire extraordinaire d’Emile, un gamin né au début des années cinquante, et de son père, André, gourou familial aux tendances dictatoriales, qui entraîne son fils unique, à coups de poings et de ceinturons, dans des délires mythomanes qui conduiront le gamin, et la famille, aux portes de la folie.
Une enfance hors du commun, rythmée par les mensonges et les accès de violence du père, par l’absence totale de cette mère effacée, presque insignifiante, enfermée dans les mythes de ce noyau familial replié sur lui-même, aussi dangereux que pathétique.
Façonné par ce père/tyran autoproclamé agent secret, membre de l’OAS, ex-proche de De Gaulle complotant désormais contre lui, Emile/Sorj, le gamin, devient prisonnier de son rôle et s’enferme à son tour dans le mensonge, jusqu’à la rupture, au détachement, à l’abandon total de ces parents qui ne le sont pas vraiment, de ce père qui malgré la folie et le rejet, continue de hanter son fils jusqu’à la mort.
Récit à peine romancé de la souffrance de toute une vie, Profession du père est un texte très fort à l’écriture simple et directe dans lequel Chalandon règle ses comptes, non pas avec son père ou sa mère, mais avec son passé, pour enfin comme il le dit, pouvoir avancer. Druillet, Bruckner, Sattouf, (sans parler d’Angot que je n’ai pas lue), nombreux sont les écrivains mûs par le besoin de raconter leur enfance. Peu me parlent à ce point. Chalandon et sa petite musique, simple et pudique, appuie systématiquement là où ça fait mal et j’avoue avoir lu les 70 dernières pages vaguement en apnée, me mordant la lèvre inférieure pour ne pas laisser échapper une petite larme coupable. Touché.
Profession du père, Sorj Chalandon, éditions Grasset.
12 réponses à “Profession du père – Sorj Chalandon”
Bon…ton billet est bon…mais j’ai toujours pas envie…
Alors il ne faut pas ! Ça risque de t’énerver…
Alors, contrairement à Mior, ça me donne sacrément envie de le lire……
Bah si tu as aimé les autres, à mon avis tu ne seras pas déçue. Même si mon préféré reste « Retour à Killybegs »
Jamais lu en fait …..je sais : c’est moche…..
Tu lis peux il faut dire…
Je serais quand même curieux de savoir ce que tu en penses. Mais ce sera seulement quand tu auras terminé le Wallace …
Ben là tu sais je fais une pause de Wallace là. ….je suis embourbée chez marcel ……mais je lirai ce Sorj …..un jour
Ah tu sais, moi je n’ai jamais réussi à m’embourber dans Marcel…
Non mais les deux premiers tomes etaient exquis (oui oui) mais le T 3 ………je souffre
J’ai eu un coup de coeur pour ce livre, il est écrit simplement sans pathos et est facilement accessible…très très fort.
Tout à fait d’accord, Eva