Il était une ville – Thomas B Reverdy

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Les gens perdent leur boulot, déménagent, dans le meilleur des cas, ils suivent leur entreprise. La plupart des vieux travaillent dans l’automobile, et la plupart des jeunes dans l’immobilier. Alors le vent froid les emporte. La voiture et la maison. C’est tout le XXème siècle qui fiche le camp comme un courant d’air.

Il y a une ville parmi toutes les villes, une cité qui symbolise, et bien au-delà de l’Amérique, la fin de quelque chose, une sorte d’épilogue de rêve, une gueule de bois de notre temps. Detroit, ville vedette devenue fantôme, fantasme post-moderne pour Cantat (et oui quand même), Jarmush, Kasishcke et bien d’autres. On adore le spectacle que nous offre Detroit, ses maisons abandonnées, ses usines désaffectées, ses quartiers entiers reconquis par la nature. Le symbole du déclin, de Notre déclin, le nôtre, celui de la société consumériste dans laquelle on a grandis. Alors, et surtout parce qu’il est lointain et vaguement exotique, on adore l’observer. Rien n’est plus incongru qu’une faille, une énorme cicatrice, au milieu de la photo parfaite que l’Amérique a pris soin, depuis que nous sommes gamin, de nous envoyer à la gueule. Le rêve américain prend cher et nous observons le phénomène comme on regarderait un volcan exploser, tout en étant conscient qu’il y a sans doute un petit bout de nous qui explose en même temps. Detroit détruite, ça dit quelque chose ici aussi, ça fout les boules, ça envoie un signal, qu’on le veuille ou non.

A ce stade, la végétation était en train de terminer le travail. Elle n’était pas pressée non plus, pas plus que la rouille ou le gel. Les graines, apportées par le vent, colonisaient chaque interstice, chaque fissure.

 

Thomas B Reverdy, jeune auteur talentueux, déjà primé et toujours cool –J’aime bien l’imaginer, je ne le connais pas – fait de la ville martyre le personnage principal de ce Il était une ville, roman choral attachant qui voit des hommes et des femmes en souffrance, au cœur de leur hiver, se croiser dans ce nouveau no man’s land humain. Des vies imparfaites, rythmées par ce décor qui n’ en finit pas de s’écrouler. Charlie le gamin écorché, Candice la serveuse, Eugène l’ingénieur coincé dans ce purgatoire étrange, tous cherchent un sens à leur existence. Tous se demandent si la vie est possible ici, si elle doit se poursuivre, s’ils feraient mieux de fuir et d’oublier. Beaucoup de poésie, un décor incroyable, le lenteur de la végétation qui prend, reprend sa place dans les interstices, Thomas B Reverdy nous fait sentir le pouls la ville avec beaucoup de justesse. Je revois les images de Only lovers left alive de Jarmush, ces quartiers fantômes, abandonnés, victimes des subprimes et de la grosse crise. A partir de là, je flotte un peu, je me laisse bercer, emmener. Tant pis s’il me reste un vague sentiment d’inabouti – pour moi, le texte est trop court pour qu’on s’attache vraiment aux personnages, manque d’épaisseur – Ce roman est un voyage émouvant sur les ruines encore fumantes du rêve qu’on nous a toujours vendu. Et moi j’aime bien l’Amérique pourrie, j’aime bien quand elle s’effondre et qu’elle en est surprise. Elle n’est d’ailleurs jamais aussi touchante que quand elle s’écroule, l’Amérique.

Que la dernière personne à quitter Detroit éteigne la lumière.

 

Il était une ville, Thomas B Reverdy, éditions Flammarion

7 réponses à “Il était une ville – Thomas B Reverdy”

  1. J’aime bien la conclusion sur l’Amérique qui s’écroule, c’est vrai que ce qu’on cherche dans les romans américains, ce sont les failles du rêve américain, et il a de quoi faire ! Sinon, c’est un bon souvenir de lecture que « Il était une ville » sans que cela ait été un coup de coeur.

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