C’est pas facile pour une mère, c’est pas facile, même pour une mère comme moi, absente et inutile, de confesser les folies de sa fille.
Anne Bourrel aime le calme qui précède l’orage. Elle aime cultiver cette tension, ce malaise à peine perceptible qui se cache dans les lieux à l’écart. Avec elle l’attente, c’est Le désert des tartares. On n’est jamais tranquilles avec Anne Bourrel. Qu’on regarde, immobiles, l’asphalte fondre dans Gran Madam’s, cette cavale au ralenti, ou qu’on se retrouve coincés dans cette station des Cévennes, oubliée de tous et même de la neige, il y a toujours quelque chose avec elle qui promet de nous exploser à la tronche.
Huis-clos à ciel ouvert. Anxiogène. On sait que ce séjour à la neige va tourner au désastre. Un peu comme tu regardes le générique du Shining de Kubrick (cette voiture qui gravit les lacets qui mènent à l’hôtel), en te rappelant que tu vas souffrir, l’invention de la neige est une montée lente et parfaitement rythmée vers un drame inéluctable. Un truc qui se cache dans les silences et les courants d’air, les non-dits et dans cette histoire familiale aussi lourde que les malaises du présent.
Laure aimait son grand-père Antoine d’un amour déraisonnable –enfin c’est ce qu’en dit son connard de vieux beau de mari- Laure est dévastée, Laure ne dort plus . Ce séjour à la neige fera du bien à tout le monde. Mais la neige n’est pas là. Seulement le froid, un froid sec inhabituel qui paralyse cette station désertée par les touristes. A l’Auberge du bonheur, la mal nommée, on s’ennuie, on croise quelques âmes en peine qui hantent le village, comme ce médecin charmant et inquiétant qui passe son temps à courir dans la forêt. Et puis il y a ce lézard qui se faufile et qui observe. Laure s’enfonce, se détache, puis s’élève, appelle le drame qui n’en finit pas de s’annoncer.
Bon Dieu, y en a qui savent y faire, décidément. J’ai chopé la crève rien qu’en dévorant cette Invention de la neige, glacée comme un jour de février sans soleil. Anne Bourrel aime tisser sa toile lentement. Pas besoin de courses poursuites, tout se cache dans ce qui précède la fureur. On sait que ça va péter et plus le livre avance, plus le souffle devient court. Le lézard regarde tout le monde de travers et il a bien raison. Un remarquable Sriller psychologique à la française…Décidément, entre Franck Bouysse et Anne Bourrel, les Cévennes commencent à sacrément me foutre les jetons.
Les morts, il faut les regarder pour qu’ils s’en aillent en paix.
L’invention de la neige, Anne Bourrel, la manufacture de livres.
2 réponses à “L’invention de la neige – Anne Bourrel”
super critique qui donne envie ! merci pour cette belle chronique (je découvre ce blog)
Merci beaucoup ! Je me rends compte avec horreur que j’avais oublié d’être poli !