A cette époque, je passais beaucoup de temps à lire, sauf que ce n’était pas des livres de classe, c’était une bande dessinée intitulée Au bout du combat, et le personnage principal s’appelait le Soldat, un putain de psychopathe qui n’hésitait pas à flinguer les arabes jusqu’au dernier si ça pouvait faire de l’Amérique un endroit plus sûr.
Wow. Sans filtre. Petite plongée au fond de la cuve bien crade de l’Amérique côté white trash. Une Amérique décadente, malade de sa violence identitaire, de sa religion, de sa mémoire. Une Amérique lépreuse qui part en lambeaux, flinguée par ses propres enfants devenus des monstres parricides.
Stratton, petite ville, quelque part, nulle part dans un état anonyme. Joseph Downs, vétéran de l’Irak, fatigué, défiguré, tombe en panne et se traîne jusqu’au premier bar. Ambiance Western moderne. Regards en coin, bourbon, calme avant la tempête.
Un homme maltraite sa femme, Joseph intervient, bagarre. Joseph/ Freddy Kruger repart avec la belle. Corrosion pourrait commencer comme un film de Tarantino. Une mise en scène presque clichée, où on imagine les portes du saloon qui grincent et les silences qui parlent autant que les regards haineux.
Mais cette scène tout en testostérone n’est sans doute rien de plus qu’un camouflage. Lilith, la femme battue, part avec Joseph et convoque l’enfer. L’enfer ordinaire, celui qui hante l’Amérique au quotidien. Celui qui se nourrit des rêves dépassés et de la violence banalisée. Les vétérans ne savent même plus pour quoi ils se sont battus. Trump déclare « Make America great again » mais le ver est déjà dans le fruit et Satan semble bien avoir gagné la partie. Corrosion est un cauchemar aux airs familiers, une vision apocalyptique d’un Oncle Sam qui ressemblerait de plus en plus à un SDF prêt à tout pour se venger, pour se retrouver ou tout simplement savoir qui il est. Dire que Corrosion est le roman de la décadence US est sans doute exagéré mais il porte les stigmates de la maladie, comme Joseph porte sur son visage la laideur de la vérité.
J’ai lu ce roman, proche parent du génial Diable tout le temps de Donald Ray Pollock comme on boit (trop)un sale rosé pas frais en voyant la gueule de bois arriver. Pas pu m’arrêter. Il a fallu que je le descende, le plus vite possible. Que je l’expédie, partagé entre fascination et dégoût.
J’ai retrouvé Benjamin Whitner et William Faulkner dans ce grand roman prophétique, noir et crasseux, habités par les deux démons de l’Amérique, le flingue et la Bible. Je me suis dit que Jon Bassoff avait raison et que l’Amérique était vraiment décadente cette fois et qu’elle foutait les boules. Et puis j’ai commencé à avoir peur que tous les White Trash aillent voter en Novembre.
Corrosion, Jon Bassoff, éditions Gallmeister.
Une réponse à “Corrosion – Jon Bassoff”
sans doute le roman le plus perturbant que j’aie lu récemment…même Le Diable tout le temps m’a semblé plus joyeux 😉