Leur liaison dura plusieurs mois. Ils flirtèrent, firent l’amour et jouirent sans entraves. Enfin, surtout Janis qui hurlait pendant l’acte et plantait ses ongles dans le dos, car lui était trop sentimental et manquait d’expérience.
Contexte particulier, lecture particulière. Chargée. On aurait dû se réjouir, seulement se réjouir, de la sortie du premier roman d’Emmanuel Genvrin, « figure » de la culture réunionnaise, pilier de la revue Kanyar, cofondateur du théâtre Vollard, j’en oublie volontairement. On aurait dû se réjouir, seulement se réjouir. Mais voilà. L’été nous a pris André Pangrani, son grand dalon, celui qui était parvenu à placer durablement et intimement la Réunion sur ma carte du monde. André avait créé Kanyar, nous avait fait l’honneur, à moi et à d’autres de publier nos nouvelles, et au-delà de l’immense plaisir qu’il m’avait fait, j’avais eu le plaisir et l’honneur de rencontrer la fine fleur de cette culture d’un bout du monde très proche, dont Emmanuel Genvrin était bien sûr un des plus dignes représentants.
Je me revois lisant Tulé! Tulé! sa nouvelle dans le premier Kanyar, moi, lecteur un peu paumé, charmé, découvrant un monde totalement inédit, riche, luxuriant, totalement exotique pour le petit gars attiré par les pays froids, que j’étais.
Emmanuel Genvrin publie donc son premier roman chez Gallimard – petit éditeur familial – Rock Sakay ou l’histoire de Jimi, comme Jimi Hendrix, gamin de l’océan indien, de la Sakay à Madagascar ou de la Réunion. Portrait d’un môme un peu perdu, beau et doué, toujours en partance, toujours à la recherche du bon port. Jimi est musicien, il a grandi dans cette vallée, la Sakay, que les réunionnais avaient colonisé dans les années 50, en pays malgache avant de s’en faire expulser.
Là-bas, il a aimé Janis, belle et libre. Janis la muse un peu folle, indomptable, qu’il a quittée, cherchée, retrouvée et puis perdue. Janis, c’est le pays de Jimi. Son repère à lui, qui flotte au-dessus des années 80, qui se perd entre héroïne et rencontres légères, paternité incertaine, filiation floue et amours débridées. Jimi est musicien, il cachetonne et rencontre les artistes de l’époque, joue avec Voulzy, Johnny, n’est pas regardant sur la qualité, tourne avec Eric Charden, se laisse porter par la vie.
Mais à chaque fois, il retourne vers son port, vers Janis qui l’appelle au loin, sirène dangereuse, femme de tout le monde, icône absolue, fantôme qui l’enchante et le ramène sur les lieux de leurs amours, dans la vallée de la Sakay.
Road trip à la sauce 80’s, témoignage d’une époque, Rock Sakay met aussi le doigt – le majeur bien entendu – sur un épisode méconnu de la colonisation française. Cette incursion méconnue chez nous au nord, des réunionnais à Madagascar dans les années 50. C’est aussi la portrait touchant, parfois nostalgique, de personnages solitaires en quête de sens et d’identité. Jimi erre, Jimi cherche, se cherche. Il est temps de libérer Janis, de la laisser partir, d’enterrer ce qui reste du passé pour enfin réussir à grandir et à vivre. Un très beau roman aux teintes mélancoliques, presque automnales, une sorte d’été indien aux lumières chaudes.
Rock Sakay, Emmanuel Genvrin, éditions Gallimard.