Les vérités avec lesquelles nous gouvernons, monsieur, ne tiennent pas dans l’intimité muette des consciences. Ce sont des spectacles.
On observe d’un œil affolé le spectacle affligeant des intégrismes modernes. Ceux qui au nom d’un Dieu réputé tout puissant installent la terreur, rendent sa justice à grands coups de sabre et de ceintures d’explosifs. On ne comprend même pas, nous les sceptiques occidentaux, comment des simagrées et un peu de folklore menaçant peuvent encore séduire aujourd’hui. On regarde, incrédules, le retour de la peur divine, celle qui soumet et condamne. Celle qui interdit le doute et qui accuse le mécréant et l’apostat.
Chronique d’un supplice annoncé. La France a déjà vécu ces temps bien sûr. Elle a déjà connu les fondamentalismes et la barbarie orchestrée par les dépositaires de la foi. C’était il y a longtemps, quelques siècles, c’est notre histoire, la fameuse culture chrétienne de la France que certains veulent toujours opposer à tout ce qui change et qui dérange. La barbarie ne date pas d’hier et si la France se réclame du christianisme, qu’elle regarde son passé à travers cet épisode de l’histoire que Frédéric Gros a choisi de raconter, les Possédées de Loudun.
1632, Loudun, nord du Poitou. Une petite ville tranquille que son séduisant prêtre, Urbain Grandier, va rendre célèbre. Grandier est un jeune curé doué, un esprit vif, un séducteur aussi dont on dit qu’il charmerait les veuves éplorées et les jeunes demoiselles. Un prêtre adoré autant que détesté par ceux qui ont juré de le mettre au pas. Accusé une première fois de débauche, il se sort, grâce à l’aide de ses protecteurs d’un procès qui l’aurait condamné. Péché d’orgueil, Grandier revient à Loudun, se réinstalle dans ses murs et attise la haine de ses détracteurs.
Dans le couvent des ursulines, des phénomènes étranges apparaissent. Trois sœurs, dont Jeanne la mère supérieure, sont prises de troubles du comportement et d’hallucinations que très vite la ville commence à interpréter comme la présence de Satan. Crises d’hystéries, voix rauques, insultes, convulsions, il se dit que les sœurs sont ensorcelées et que le Diable a pris possession du couvent. Les exorcistes se ruent au chevet des suppliciées. Et très vite, le Diable prend le visage de Grandier, le prêtre trop séduisant qu’une partie de la ville veut éliminer.
Ensuite, tout est affaire d’alliances, de compromissions, d’influence. La machine est en marche et ne peut être arrêtée. Le procureur mène à la perfection une instruction à charge, évoluant toujours à la limite d’un délire collectif savamment orchestré. Les hautes instances s’interrogent, n’est-on pas en train de faire de ce spectacle une parodie de religion, n’est-on pas en train de l’offenser ? Les doutes s’invitent au spectacle et la population en raffole, en redemande. Séances d’exorcisation publiques, spectacle total nécessaire à l’Eglise qui doit réaffirmer sa suprématie alors que les huguenots, les réformateurs s’affichent sans vergogne. Il faut que Dieu, le seul, le vrai, le Catholique, s’affirme, quitte à terroriser. Et Grandier le sorcier doit payer.
Fascinant récit par le menu d’une manipulation gigantesque, Possédées est l’histoire particulièrement troublante de la dérive du fanatisme à visée politique, de la terreur religieuse qui nourrit et fait taire le peuple. C’est aussi le portrait très attachant d’un humaniste avant l’heure, d’un amoureux du beau qui n’avait pas sa place en ces temps.
Alors on regrettera peut-être l’écriture vaguement plate de Frédéric Gros qui aurait pu sublimer ce récit par un peu plus de littérature. Mais l’essentiel est ailleurs, dans ce travail méticuleux, fondamentalement nécessaire aujourd’hui, dans ce portrait de la France de nos aïeuls dont on a parfois tendance à oublier qu’elle faisait, elle aussi, de la barbarie un spectacle au nom du Roi et de Dieu.
Possédées, Frédéric Gros, éditions Albin Michel.