27 novembre 2011,
C’était un matin d’été en 1992. Je devais récupérer les maquettes des premiers enregistrements d’Ipso facto, la compilation de jeunes groupes angevins que nous avions réussi à produire, par miracle…J’avais même obtenu une bourse « Défi jeune », 20000 francs, une fortune à l’époque, pour financer le projet…5 groupes, 10 chansons.
Avec le recul, à part le Casbah Club – dont le bassiste Mathieu officie désormais chez Zenzile, et Bepi Faliero dont un des membres, Arnaud, a ensuite créé Hint puis La Phaze, le disque était faible et inégal…mais il avait le mérite d’exister. C’était un truc qu’on avait réussi à terminer, fierté unique d’une période où tout projet mourait en général avant même d’être entamé, faute d’énergie et de confiance en soi.
Ce matin d’été donc, j’étais à la recherche de l’ingénieur du son, je ne sais plus trop pourquoi. Je l’ai appelé chez lui; en 1992 on n’avait pas de portables…Sa femme m’a dit qu’il était en train d’enregistrer le dernier album de Lo’Jo, dans une ferme pourrie d’un petit village paumé du nord du département. Champigné.
Champigné, c’était chez moi, mon village. Et la ferme en question, la Petite Bougrie, c’était la maison natale de mon-grand père Alfred…
Moi, Lo’Jo, j’adorais. Un mélange de plein de choses, un joyeux bordel estampillé « World music ». Du jazz, de la musique orientale, des influences slaves. Un groupe d’Angers et d’ailleurs, qui plaisait beaucoup à Télérama et dont la musique passait sur FIP. Pas sur NRJ.
C’est donc un peu intimidé que je suis allé rencontrer un de mes groupes favoris, sur les terres mêmes de ma genèse familiale…
J’ai dû arriver trop tôt. Il devait être onze heures du matin…L’aube naissante en quelque sorte. Un soleil pourtant déjà haut. Le groupe avait baptisé l’endroit « Tipi on ze wall ». Effectivement, on apercevait quelques tentes indiennes, installées derrière les bâtiments de la ferme, qui n’avaient pas dû changer depuis que mon grand-père avait quitté ses culottes courtes.
Je ne voyais personne, ni dans la maison, ni dehors, j’appelais mais rien ne bougeait.
Et puis soudain, je l’ai aperçu. Un personnage hors du temps, une gueule de fin de soirée, une sorte de Kusturica du Maine-et-Loire en fin de parcours. Il était attablé dehors, devant un bol de café et une bière. Sans bouger la tête, qui semblait avoir perdue son autonomie propre, Il a levé un œil chargé de vapeurs d’alcool dans ma direction. Il a balbutié un truc. J’ai répondu n’importe quoi. Sans un mot, Il a balancé son œil dans l’autre sens, en direction de la porte d’entrée.
L’ingénieur du son était à l’intérieur. Il m’a donné les maquettes. Il m’a proposé un café dehors, j’ai dit ok. Sauf qu’il n’est pas venu. Et j’étais seul avec Joe l’indien. Il ne bougeait pas. Je lui ai demandé si l’enregistrement se passait bien, il a grogné. Mon café était trop chaud mais j’étais prêt à le boire d’une seule gorgée pour pouvoir me barrer. Je lui ai raconté l’histoire de mon grand-père qui était né ici, blah, blah. Il a grogné. J’ai décidé de me brûler.
En partant, depuis le chemin, j’ai aperçu quelqu’un qui sortait d’un tipi. C’était une des choristes, complètement nue. Une autre est sortie d’une autre tente, nue, elle aussi.
Je me suis dit que si mon grand-père avait vu ça, il aurait adoré…
Quelques mois plus tard, l’album Fils de Zamal est sorti. Bien sûr on est allé voir Lo’Jo en concert et j’ai vu Joe l’indien Kusturica vociférer sa chanson Brian Guédon sur scène, une bouteille de vodka à la main. Et c’était magnifique.