Je me sentais délicieusement vide, sans contact avec ce qui m’entourait, et heureux de n’être vu de personne. J’étendis les jambes sur le banc et me renversai en arrière ; ainsi je pouvais sentir tout le bien-être du détachement. Il n’y avait pas un nuage dans mon âme, pas une sensation de malaise, et aussi loin que pouvait aller ma pensée, je n’avais pas une envie, pas un désir insatisfait. J’étais étendu les yeux ouverts, dans un état singulier ! j’étais absent de moi-même, et je me sentais délicieusement loin.
Je dois beaucoup à Paul Auster. Il m’a fait aimer les livres alors que je me croyais perdu pour la littérature. Comme un héros austérien, j’errais souvent sans but précis dans les bibliothèques et j’empruntais des romans de que je ne terminais pas. Et puis j’ai lu Moon palace qui était au programme du CAPES d’anglais. Je l’ai lu et relu, disséqué et le cours de littérature est le seul auquel j’ai assisté assidûment durant cette année à part. « La circularité dans Moon Palace« , je me souviens même d’un de nos thèmes d’études. Les thèmes austériens, l’identité, le hasard et le dénuement, m’ont tellement parlé que j’ai tout lu de lui, tout, jusqu’à ses essais, jusqu’à l’Art de la faim, un texte qui décrypte un roman atypique de la fin du XIXème, La faim, un roman du norvégien Knut Hamsun, qui sera nobelisé en 1920.
La faim, dont la ressemblance avec la première partie de Moon palace saute nécessairement aux yeux à posteriori, est le récit d’une errance. Celle d’un jeune homme, journaliste indépendant qui dérive ou se laisse dériver progressivement vers le dénuement le plus total, qui marche sans but dans les rues de Christiana, l’ancienne Oslo. Le narrateur éprouve bientôt la faim jusqu’à la souffrance la plus totale, jusqu’à la folie, se plongeant dans un état dont on se demande parfois s’il ne touche pas à l’extase. Et c’est bien là l’intérêt majeur de ce roman dans lequel il ne se passe finalement pas grand-chose d’autre que l’expérimentation ultime de la mise à l’écart d’un corps et d’un esprit au cœur d’une cité. Le jeune homme se pose en observateur de son état, flirte avec une forme de masochisme, rejette à l’eau les quelques bouées qu’on veut bien lui jeter et fait de sa déchéance une œuvre qu’il présente à Dieu dans la cité même qui porte son nom, Christiana.
C’est évidemment un texte marquant, dérangeant aussi, précurseur bien sûr qui évoque la misère sociale mais aussi une forme de rupture avec le siècle qui se termine. C’est finalement un roman très moderne qui s’attache aux vagabondages de la conscience et assène un bras d’honneur à la chrétienté car le narrateur, s’il jeûne, ne le fait pas dans un but religieux mais bien terrestre, une spiritualité propre, détachée du divin. Il explore les tréfonds de sa condition humaine et finit par quitter Christiana la bien nommée, libre de vivre.
Pas léger léger, mais essentiel.
L’idée de Dieu recommença de m’occuper. Je trouvais absolument un justifiable de sa part de s’interposer chaque fois que je chercher une place et de tout gâcher, du moment que je demandais simplement mon pain quotidien.
La faim, Knut Hamsun, éditions 11-13
5 réponses à “La faim – Knut Hamsun”
Rhoo, tu me rappelles ma grande période Paul Auster ( j’ai quasiment tout lu sauf les tout derniers)…et dans l’Invention de la Solitude, je crois, quand il est pauvre à lécher les murs, et le dernier œuf qu’il a lui échappe des mains pour se briser par terre…j’en ai eu les cheveux qui se dressent sur la tête! Te rappelles tu ce passage ?
Oui bien sûr, c’était grand !
Oui, marquant et très moderne, il faut essayer Knut Hamsun. Comme toi, Paul Auster a marqué ma découverte des écrivains américains. Son épouse Siri Hustvedt est aussi une écrivaine fantastique.
je pense que je vais lire ce livre, juste parce que l’auteur s’appelle KNUT 🙂
Tu connais un KNUT ?