Le 22 novembre 2011, KAT ONOMA The animals
C’était l’été 91. Bien sûr, j’avais raté mes examens en juin. J’étais donc promis au rattrapage de septembre à la fac. Un été qui allait, à priori, se partager entre étapes du Tour de France, révisions du bout des yeux, matches de tennis et sitcoms à la télé. Un été d’étudiant adolescent, éternellement fatigué de ne rien faire, embarrassé par sa propre inertie mais bien incapable d’envisager la moindre action qui pourrait nécessiter un effort.
Mon cousin Yves est venu à la rescousse. Je cherchais un boulot d’été, quelque chose qui pourrait m’éviter l’infâme saison de ramassage des pommes dans les vergers voisins. Yves travaillait dans une banque. Il mettait une cravate le matin. Il bossait à Rennes au service informatique de la BPBA, la Banque Populaire Bretagne Armorique. Il était chef. Il m’a appelé un jour pour me proposer le parfait job d’été, là-bas à Rennes. J’allais remplacer les techniciens titulaires pendant leurs vacances…Moi, l’informatique, je n’y comprenais rien, mais Yves m’a rassuré. J’étais à priori suffisamment intelligent pour y arriver et au bout de quelques heures, je maîtriserais parfaitement ma mission…
J’ai donc pris ma 104 Peugeot sous le bras et je suis allé passer l’été en Bretagne. Je crois que j’ai montré assez peu d’enthousiasme à la tâche. Je me suis ennuyé, et avec toute la finesse de mes vingt ans, je crois que je ne me suis pas privé de le faire sentir…Un petit con.
Je travaillais en horaires décalés. Souvent de 6h à 14h. L’après-midi, j’allais à la plage entre Saint-Malo et Cancale, à la Pointe du Grouin. Des heures entières dans les rochers à lire et écouter de la musique. A 20 ans, j’étais déjà un peu solitaire…A cette époque, mon walkman était plutôt énervé. Fugazi, The Wedding Present, Jello Biafra, Pixies, on était plutôt dans le hardcore… Mais il y avait Kat Onoma.
Je me souviens d’une conversation avec le guitariste d’un groupe lavallois – oui, oui, ça a existé, Greasy Kids stuff . Il était passé à la radio dans laquelle on traînait. Steph Le Crabe l’avait interviewé dans son émission La gueule du loup (Iggy Pop n’était pas dispo ce soir-là).
Bière à la main, à la fin de l’émission, nous avions discuté de nos albums cultes. Il avait dû me sortir un truc noble et vieux, genre un live des Sonics dans un club New-yorkais pourri à la fin des sixties…Moi je lui avais dit que mon album culte, c’était Stock phrases de Kat Onoma. Il avait rit en tirant sur sa Gauloise et j’avais vu ses dents jaunes.
« -T’es con, c’est pas un album culte, il vient juste de sortir… »
– J’ai vingt ans, pas 40 ou plus comme toi, j’ai pas connu les débuts des Stones, moi… »
Il s’était marré à nouveau mais j’avais dû passer à deux doigts du coup de boule à la mayennaise…
Un après-midi, alors que je déambulais dans les rues de Saint-Malo, j’ai vu une affiche qui annonçait un concert de Kat Onoma, la semaine suivante sur la plage.C’était sympa à eux de venir de Strasbourg pour me sauver de l’ennui…
Quand je suis arrivé ce soir là, la plage était bondée, ambiance 14 juillet, chouchous et Barbapapa. Des familles entières qui venaient à la fête dans l’espoir d’écouter du zouk, de la biguine, de la musette ou au pire de la variété . Il y avait plus de mille personnes quand le concert a commencé, j’étais obligé de jouer des coudes pour atteindre les premiers rangs.
Au bout de trois chansons nous n’étions plus que 200 sur la plage. Nous avons terminé à 20 ou 30. Les fans. Ceux qui connaissaient les paroles des chansons. On était juste au pied de la scène, devant Rodolphe Burger et Philippe Poirier qui ne chantaient plus que pour nous…Un des meilleurs concerts de ma vie, un instant volé à un été à part.
L’été 91, le premier à l’écart de la ferme…Des images du vendredi soir quand je rentrais à Champigné dans la lumière de fin de journée. Le soleil rasant, se couchant dans mon dos sur la route éclairant les champs de blé. J’arrivais vers 10 heures et j’allumais la télé. C’était l’été où la 5 diffusait Twin Peaks …Un bel été.