Gilles. Pendant longtemps il n’a pas voulu dire. Il s’est contenté d’esquiver la question. Oui il était musicien, oui, il avait fait partie d’un groupe. Il y avait eu quelques albums, produits par Laurent Garnier. De la musique électronique. Un peu expérimentale…On était déjà potes mais il n’insistait pas, comme s’il n’avait aucune envie de se confronter à un silence gênant, vaguement désapprobateur ou juste désorienté en faisant écouter ces morceaux intimistes composés dans une autre vie au milieu de la nuit. Vista le vie, drôle de nom, drôle de groupe. Il avait fini par le lâcher le nom.
Alors après, je m’étais débrouillé, j’avais trouvé les disques sur Itunes et j’avais découvert seul l’univers riche et torturé du groupe. Du post-rock. Des plages atmosphériques, instrumentales, avant-gardistes qui se répètent, la BO d’un film à inventer. Un truc à écouter allongé, un truc rampant qui vous recouvre petit à petit comme une nuit qui tombe et vous entoure. Tanzanite, François, Beauty for ashes et puis Kids with gloves…
Ah…Kids with gloves souvenir impérissable d’une route enneigée quelques part dans l’est de l’Islande. Musique hypnotique soulignée par une voix et une phrase énigmatique qui se perd dans l’immensité The murder of two men by a young kid wearing gloves. La phrase est tirée d’un poème de Kenneth Patchen, scotchant, lui-aussi. Je me suis laissé porter par ce morceau sur cette route ensoleillée, à peine praticable, sur laquelle je n’ai rencontré qu’un couple de cygnes aussi paumés que moi. Et quand j’ai rejoint la ville suivante, Reykjahlíð, un bled tout blanc, une station-service, deux maisons, un restaurant et des volcans fumants, j’ai su que Kids with gloves ferait désormais partie de ma petite géographie.