Le temps des immortelles – Karsten Dümmel

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Un des objectifs du processus opérationnel est d’isoler totalement le sujet de ses amis , collègues et famille et de le maintenir en état d’inquiétude permanente. Le but est d’atteindre un degré d’insécurité provoquant chez la cible l’impression qu’elle ne contrôle plus sa vie.

Deux mois. Deux mois sans rien lire ou presque. Deux mois à trimballer des livres que je n’ouvrais même pas. Un petit blocage. Oui j’ai un peu buggé au début de l’été et j’ai regardé impuissant, la poussière s’accumuler sur ma grosse PAL délaissée. Délaissée comme ce blog aussi à qui je n’ai plus rien raconté depuis des semaines. Ni film, ni musique. Rien, le silence. Et pourtant il s’en est passé dans les têtes et dans les cœurs . Si j’ai délaissé entièrement les salles de ciné (Cars 3, ça ne compte pas, n’est-ce pas ?), côté musique, l’été aura été chaud. J’y reviendrai.

Et puis j’ai fini par dépoussiérer. La PAL. J’ai feuilleté, lu des 4èmes de couv’ avant de grimper dans un avion. Et puis le truc est revenu. Attention, c’est fragile, je suis convalescent. Ça peut repartir en un instant, je me méfie. Pour repartir, il fallait du familier, un éditeur gouté et approuvé, une maison de confiance. Ce serait Alma ou Quidam éditeur bien sûr.

Un roman court et choc sur la RDA par un auteur qui en a connu la folie paranoïaque. Karsten Dümmel, victime en son temps de l’incroyable parenthèse de l’Est Allemagne. Une plongée dans les affres de l’horreur organisée, grise et invisible de la machine à surveiller, dénoncer et détruire. C’est bien pire que Big Brother. C’est partout, ça s’immisce dans la vie dans le travail, dans les amours, jusqu’au cœur des maisons. Ça paralyse, ça interdit le mouvement, ça réduit la parole jusqu’au silence. Ça vous isole et ça vous accompagne jusqu’à la mort pour le bien de la révolution grise. Invisible et implacable.

Arno K a été repéré par la machine tentaculaire. Pas sympathisant du bloc, loin d’être un activiste, il donne à penser à la machine qu’il est potentiellement hostile à la Nation. A partir de là, il devient la cible. L’état invisible ne le lâchera plus. Toujours là, partout. Aucun refuge que le repli sur soi, jusqu’à l’assèchement total de la vie. Le temps des immortelles est un récit fort et troublant qui remonte sobrement le cours des évènements.

Hier : Arno a vécu, il a été jeune et insouciant. Il a été heureux aussi. Souvenirs fleuris et colorés d’enfance avec sa grand-mère, avec Marie aussi. Aujourd’hui : Arno et l’insidieuse persécution, présente comme une maladie de peau. Les compte-rendu de la Stasi. Informatifs, froids, cliniques.

Terrible. Karsten Dümmel éteint son personnage au fur et à mesure. Son univers se réduit, rapetisse. Sa langue aussi. Plus grand-chose avec les années et puis plus rien. Plus qu’un tout petit filet de vie à la fin et la volonté en fuite. Le courage de lutter contre l’invisible qui a disparu avec l’espoir et même la mort comme seule issue qui demeure suspecte aux yeux pervers de la bête grise. Fort.

L’emploi de mesures de désintégration complémentaires et massives devra empêcher dans un proche avenir que le suicide de la cible complique davantage la clarification de ses agissements hostiles et négatifs ou que la cible se soustraie à une procédure pénale par ce biais.

Le temps des immortelles, Karsten Dümmel, Quidam éditeur.