Le voilà livré à la malédiction de Caïn, le premier meurtrier de l’humanité: errant et fugitif sur la terre, celui qui le rencontrera le tuera.
C’est bizzare la lecture. L’autre jour, j’avais lu une cinquantaine de pages de la vie de La disparition de Josef Mengele quand ils ont annoncé que justement Olivier Guez raflait le Renaudot. J’avoue que ça m’a un peu étonné tant ces cinquante pages m’avaient parues serrées, tassées presque étouffées. Phrases courtes factuelles, collections de noms, je voyais derrière les premiers chapitres, ceux de l’arrivée en Argentine, comme une sorte de course à l’information pas très digeste. Comme un rush pas utile vers le cœur de l’ouvrage dans une ambiance de métro aux heures de pointe. Pas l’introduction dont je rêvais pour ce texte que je voulais lire absolument. Sujet passionnant, fascination, toujours pour le mal absolu, besoin d’entendre, et pourquoi pas comprendre ce que pouvait bien cacher l’esprit, voire l’âme du plus grand boucher moderne.
Alors j’ai poursuivi bien sûr, car ce roman ne se lâche pas, il se dévore. Et j’ai compris le Renaudot.
Mengele, comme des dizaines de Nazis fuit l’Allemagne après la guerre. Grâce à la complaisance, voire de l’admiration de l’Argentine péroniste, Mengele, sous une fausse identité peut s’échapper de l’Europe et se réinventer une vie. Une vie de clandestin ou de semi-clandestin tant les relais nazis sont présents de Buenos Aires à Asunción.
Au fur et à mesure que les mois passent, Mengele le peureux prend confiance et dévoile sa réelle identité aux plus convaincus des nostalgiques du troisième Reich. En compagnie d’Eichmann et d’autres, il imagine même un retour aux affaires d’un ordre qui ne saurait avoir totalement disparu. Utopie et Nostalgie animent ces anciens combattants de la haine qui vont bientôt devoir cesser de bomber le torse car en Europe et en Israël, la chasse aux nazis est lancée. Mandats d’arrêts internationaux, expéditions du Mossad, enlèvement d’Eichmann, les nazis ne seront plus tranquilles. Alors Mengele va devoir se cacher, vivre et mourir comme un rat.
Jusqu’en 1979, Mengele fuira. N’exprimant jamais aucun regret, justifiant très simplement l’indescriptible à un auditoire convaincu, du Paraguay à la Patagonie puis au Brésil , cette incarnation du mal vivra comme une bête traquée, dans la haine de tout ce qui n’est pas nazi.
Merveilleuse seconde partie du livre qui regarde, contemplative le rat rapetisser et se terrer, perdre jusqu’à ses derniers soutiens après les avoir épuisés de plaintes, de jérémiades et de reproches. Alors le rat meurt seul et disparait, englouti par l’immensité de l’océan.
Remarquable. La sécheresse relative des premières pages disparait au fur et à mesure et fait place à la lenteur et à l’espace. On vit l’ennui de Mengele, des années d’ennui et de frustrations passées à ressasser éternellement. On l’observe dans son purgatoire. On le regarde qui rapetisse et qui marche péniblement vers la mort. On n’est jamais en empathie, on éprouve une vraie tristesse pour Rolf le fils malheureux, qui ira jusqu’à changer son nom pour faire disparaitre ce qui ressemble à un tatouage honteux. Cavale et mort d’un des plus grands assassins de l’histoire. Bouleversant.
La disparition de Josef Mengele, Olivier Guez, éditions Grasset.