Dans la ville de Vienne se poursuivent des scènes de folie, émeutiers assassins, incendies, hurlements, juifs traînés par les cheveux dans les rues jonchées de débris, alors que les grandes démocraties semblent ne rien voir, que l’Angleterre s’est couchée et ronronne paisiblement, que la France fait de beaux rêves, que tout le monde s’en fout…
J’étais passé à côté du 14 juillet d’Éric Vuillard. Complétement passé à côté. Alors je me méfie, depuis 6 mois au presque, déjà, de cet Ordre du jour dont je ne savais pas grand-chose à sa sortie mais dont on m’avait dit ici et là qu’il était une relecture de l’histoire, une photographie prise quelques heures avant le Big Bang WWII .
J’ai hésité car le thème m’intéresse – je confesse une légère obsession vaguement macabre pour le sujet – Et puis, Vuillard a remporté le Goncourt pour son Ordre du jour et j’ai plongé. Enfin plongé, l’eau n’est pas profonde, on n’est pas chez Proust, le livre pèse dix fois moins lourd que le premier chapitre d’ A la recherche du temps perdu… Petit livre, petite surprise mais que vaut donc ce texte, ce récit (point de roman ici) qui nous donne à regarder d’un angle nouveau – celui de la petite souris cachée dans la pièce – l’Anschluss, l’annexion éclair, frontières ouvertes, fleurs au balcon d’une Autriche plus que complaisante avec les idées nazies, le 12 mars 1938 ?
Evidemment cette plongée souvent ordinaire et parfois terriblement banale dans les coulisses du pire en gestation, coulisses faites de luttes de pouvoirs, de regards appuyés, de politesses, de ronds de cuir et de ronds de jambes, de petits fours et lâchetés confortables, d’aveuglement coupable face à la montée implacable de la pire machine criminelle de l’histoire, cette plongée, donc, est fascinante par le décalage qu’elle crée entre la grande Histoire et les petites, toutes petites vicissitudes de ces jours cruciaux.
De Schuschnigg chancelier autrichien pourtant dictateur lui-même, mais nerveux comme un adolescent boutonneux dans le bureau d’un Hitler menaçant ou d’un Ribbentrop – incroyable scène – alors ambassadeur allemand à Londres qui éternise volontairement des mondanités toutes british, après un dîner chez Chamberlain le premier ministre anglais, alors même que les troupes nazies passent la frontière au sud.
Alors oui, ce livre est intéressant. J’aime beaucoup le décalage que l’auteur crée entre les anecdotes insignifiantes, les faiblesses très humaines des protagonistes et les conséquences tragiquement désastreuses de l’invasion de l’Autriche.
Je ne suis pas sûr cependant que le Goncourt devait récompenser ce texte qui me parait plus un excellent travail d’ouverture à l’Histoire qu’une création littéraire, mais après tout tant mieux si ce prix donne l’occasion au plus grand nombre de se plonger au cœur de la genèse du mal. Après tout, pourquoi pas…à l’heure ou la mèche peroxydée yankee nous crache son America first dès le petit déjeuner, il n’est pas inutile de rappeler que la catastrophe guette, toujours à l’affut.
L’ordre du jour, Eric Vuillard, éditions Actes Sud.
6 réponses à “L’ordre du jour – Eric Vuillard”
Contrairement à toi, j’ai beaucoup apprécié son style, incisif, percutant. Chaque mot me semble soigneusement pesé et choisi pour restituer une atmosphère, la relation entre les différents protagonistes. Pour ma part, je trouve que c’est un grand texte, d’une belle densité littéraire.
Ah moi je n’y arrive pas… et je trouve même qu’on peut d le tout petit fil.. pourquoi les Krupp au début et à la fin? Le fil conducteur est l’Anshluss ou alors pas vraiment, plutôt la complaisance ? Je m’y perds un peu, je n’y arrive pas, c’était pareil pour 14 Juillet…
Merci pour ton avis. Je reste encore dubitative..
…Le vrai sujet ne serait-il pas tout simplement la lâcheté, la succession de petites lâchetés , de petits arrangements avec sa conscience de tel ou tel qui aurait pu s’interposer, ou tout au moins tenter quelque chose en ce sens? Churchill le raconte fort bien dans le début de ses Mémoires de guerre, dix fois on aurait pu stopper Hitler si on avait eu plus de courage politique, de clairvoyance …dix fois on s’est rendormi… Vuillard se sert bien de ces Mémoires d’ailleurs, j’ai retrouvé la scène des chars en panne sur la route de Vienne, celle de Ribbentrop chez Chamberlain ( bon, certes, Vuillard ne peut pas les avoir pondues) et ca m’a amusée de confronter les deux narrations d’ailleurs … Comme toi je trouve un peu qu’il manque un fil conducteur tout de même. Une lecture fort intéressante mais qui ne m’a pas mise à la renverse comme tout semblait me promettre .
Bah oui, je suis d’accord avec toi sur la lâcheté en tant que thème principal. Je suis d’ailleurs super intéressé par les industriels de l’époque, Krupp et autres et viens d’acheter « Les amnésiques » de Geraldine Schwartz chez Flammarion, même sujet !
pas tellement convaincue non plus par 14 Juillet…je pense que je lirai celui-ci, non pas parce qu’il a eu le Goncourt mais parce que j’ai assisté à une conférence de l’auteur à Versailles…
pour rebondir sur le message de Mior, oui c’est la lecture des Mémoires de Churchill avec l’histoire des chars en panne qui a été le déclencheur de l’écriture de ce livre…