Je lui dois le petit peuple de mes cauchemars. Je lui dois une myriade de troubles obsessionnels. Je lui dois mon inaptitude chronique à la décision. Je lui dois des litres de sueur. Je lui dois es idées noires et quelques crises de nerfs.
Seule peut-être la fulgurance pouvait permettre à Arnaud Dudek de se jeter, sans respirer ou presque, dans un tel projet. De son propre aveu, l’auteur, dont j’adore tous les romans, s’est rué sur cette histoire qu’il a écrite d’un seul souffle, du souffle très court d’une bête traquée par l’urgence du mot juste.
Arnaud Dudek n’a jamais été auteur de trop de mots. Il a toujours laissé la part très belle aux silences et aux ellipses. Et cette fois-ci encore, cette fois-ci surtout même, Arnaud a pesé chaque mot et laissé beaucoup d’espace entre les phrases et les pages.
Comment écrire l’indicible, comment décrire la fin brutale de l’enfance, quelques instants à peine, détachés, tellement irréels qui marquent au fer rouge ce gamin qui croyait, comme un enfant, en la bonté innocente du monde. Ne jamais flirter avec le glauque, évoquer sans décrire, le viol, s’attacher au ressenti, aux souvenirs incomplets et enfouis, voilà le pari de l’auteur qui survole avec une bienveillance aérienne, la renaissance de cet enfant devenu adulte et prêt à affronter le monde à nouveau.
Une voix, des années plus tard, au coin d’une rue et le cauchemar réapparait, comme une tache indélébile. Que faire alors quand sa vie d’homme a été confisquée par le monstre enfoui au fond de la mémoire, comment penser se reconstruire ? Arnaud Dudek évoque, à travers de toutes petites scènes, très courtes, détachées, poétiques et elliptiques, la renaissance, la reconstruction. Il procède par petites touches délicates. Il ne faut pas brusquer, pas précipiter la vie qui point à nouveau.
Texte coup de poing dans un gant de velours, Tant bien que mal vous met KO avec la douceur d’un matin de printemps.
C’est en mettant l’enfance à distance que je m’apaise un peu.
Tant bien que mal. Arnaud Dudek, éditions Alma