Et les souvenirs qui restent les vôtres renvoient, au fil de l’eau, vers l’avenir incertain : je fus quelqu’un, sera autre, et, pour l’instant n’est plus.
Evidemment je m’interroge. Le livre est sorti il y a un mois et on ne parle que de lui. Le lambeau cartonne. J’en ai d’abord entendu parler au Masque, hommage unanime, sobre, de presque trop peu de mots de ceux qui d’habitude tuent ou encensent avec emphase et drôlerie. J’ai tout de suite eu envie de lire Le lambeau. Comme si Charlie était aussi mon histoire, comme j’avais sauté sur Le livre que je ne voulais pas écrire d’Erwann Larher.
Alors oui j’interroge le lecteur en moi sur ce qui le pousse à avoir envie de se plonger in situ au cœur de l’attaque, car malheureusement, et je ferais volontiers le parallèle avec les vingt premières minutes du Soldat Ryan d’Oliver Stone, ce qui marque, c’est le retour au choc. Comme je n’étais pas foutu de me détacher des images tout en crachant sur BFMTV, je m’interroge sur ma motivation première. Surtout quand j’entends certains journalistes radio, je n’avais qu’à pas écouter RMC l’autre matin, bien fait pour ma gueule, qui parlent de livre phénomène et détachent avec délectation les passages les plus trash. On passe de la cervelle de Bernard Maris au corps inanimé de Tignous, on sensationnalise et on oublie l’essentiel. Malheureusement, et je ne suis pas le seul je le crains, je suis, à la lecture des 120 premières pages de ce récit, cet automobiliste obscène qui ralentit à hauteur de l’accident, je tourne les pages frénétiquement et je me complais, un peu, dans l’horreur.
Proust se rappelle tout, peut-être parce qu’il lui est arrivé à peu près rien.
Heureusement il y a la suite. Non pas que les premières pages soient mauvaises, elles sont subjuguantes et c’est bien là le problème. Non, heureusement que la suite, la réparation, la rééducation du corps et de l’âme prennent le pas dans une rythme lent et très paradoxalement apaisé. Philippe Lançon nous raconte son Charlie. Son avant l’attaque, son attaque et sa suite, le lent retour parmi les vivants, lui le blessé de guerre, la gueule cassée qui n’est plus que souffrance et qui revient en boitant vers la vie, jour après jour. Histoires d’Hôpital, histoires d’hommes et de femmes.
Et là, on ne parle plus de Charlie et du traumatisme collectif, on parle de l’Homme avec le grand H et de sa condition. Alors on pose chaque phrase, on l’écoute comme si c’était la première. On admire la langue de Philippe Lançon, et on repose le livre, qui se termine le 13 novembre à New York au pieds de Ground Zero – quelle boucle – un peu sonné et bizarrement apaisé.
Le lambeau, Philippe Lançon, éditions Gallimard
7 réponses à “Le lambeau – Philippe Lançon”
Oui, « apaisé » est aussi le mot que j’ai employé pour parler de ce livre.
Il faut, en effet, laisser le sensationnel aux journalistes, et lire ce roman qui porte tellement d’intelligence et de lumière.
C’est tout à fait ça Delphine, 100% d’accord avec ton billet
« et on oublie l’essentiel » oh comment… C’est la singularité de ce livre qui n’est pas vraiment Charlie au fond -ceux qui y vont pour ça seront déçus je crois- et qui parle plus de littérature que de terrorisme, par exemple, qui est remarquable . Une résilience stoïcienne hors du commun . (Forcément.) Un OLNI de très très grande qualité .
Oui c’est ce qui m’a énervé quand j’entendais certains journalistes s’attarder sur le côté sensationnel
Il me tente beaucoup, même si je ne vais pas me précipiter dessus, j’ai encore besoin de temps.
Il est là pour un moment je crois…et il est assez universel , peut-être plus que circonstanciel, il y a un moment où tu pourras …
soldat ryan .. oliver stone ? vraiment ?